Glamour, gloire et beauté: Mia et le monde du mannequinat

Mannequin, c’est un métier qui en fait rêver plus d’un.e. La promesse d’une vie de paillettes, et de voyages pour les plus chanceux.ses. Mais que se passe-t-il vraiment en coulisses? Mia nous raconte son expérience – les bons souvenirs, et les dessous plus sombres que les vêtements et les flashs peuvent cacher.

Tout a commencé un peu par hasard, dans les rayons d’une friperie de Dunkerque. Mia, alors fraîchement entrée au lycée, se fait repérer par un des employés – un ancien élève d’ESMOD qui mettait à profit ses créations pour la boutique. «Il avait un petit atelier juste à côté, et créait, upcyclait* des vêtements pour ensuite les vendre, pour en faire des pièces un peu plus dans l’air du temps.»

Pendant les 3 ans que durent le lycée, Mia participe
donc à des petits défilés, de temps à autre, pour faire vivre ces collections. Dans la foulée, elle fait ses premiers shootings photos, non rémunérés, et rencontre la photographe qui la convainc d’envoyer son profil à quelques agences de mannequins de la région. «Je l’ai fait, mais je n’y croyais pas du tout» dit-elle en souriant. «Au final, une agence lilloise m’a rappelée, je suis allée les voir, fait des photos… Et j’ai signé, en avril 2019, à tout juste 18 ans!».

Mia par le photographe Thomas Correia, janvier 2021.

Mia, c’est une grande blonde aux yeux bleus, aux lèvres bien
dessinées, et une mâchoire définie. Elle a ce charme naturel, cette présence indéniable et ce, même en appel vidéo. Difficile de croire qu’une fille comme elle douterait de ses chances d’entrer en agence… et pourtant.

À plusieurs reprises, elle me confie que la confiance en soi n’était pas quelque chose d’inné chez elle, mais qu’elle était cruciale dans ce milieu.

De l’agence au freelance

Même si elle n’a travaillé que jusqu’à fin 2020 en agence, Mia a eu l’occasion de participer à beaucoup de projets différents. Du shooting sur les terrils de Lens, dans le froid en vêtements de haute couture – son projet préféré -, à celui inspiré d’un set obscur des années 80, couverte de bandages et dans des positions farfelues, son portfolio est assez varié. Cela dit, ce ne sont pas les projets les plus professionnels qui sont les plus stressants à ses yeux ce qui peut paraître surprenant.

«Les moments où j’avais le plus de pression, c’était les défilés pour les étudiant.e.s d’ESMOD. Rien qu’en 2021, j’en ai fait 3 ou 4. Et souvent, je les connais déjà, je les ai vu évoluer – et leur collection, c’est vraiment leur bébé, ils y travaillent depuis des années, et j’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur de leurs attentes. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me tient vraiment à cœur.»

Bien sûr, être modèle apporte aussi son lot de situations embarrassantes. Mia se souvient particulièrement bien de son tout premier shooting photo, ainsi que du photographe. «C’était à Roubaix, et je me suis retrouvée toute seule avec lui. L’ambiance était un peu étrange, et il me demandait de me dénuder un peu, de poser d’une certaine façon pour mettre l’accent sur le fait que j’étais mince» se rappelle-t-elle, les sourcils froncés. «Et il était vraiment très cassant, se permettait de descendre ma bretelle de soutien-gorge… J’avais limite peur de ne pas ressortir vivante, je pensais “Maman, aide-moi”! Il ne s’est rien passé, mais c’était quand même très malaisant.»

D’ailleurs, lorsque je lui demande si quelques noms de personnes à éviter tournent dans le milieu, elle me répond immédiatement que oui: et surtout celui de ce photographe en question. «Il y a d’autres filles qui se sont aussi senties très mal à l’aise avec lui. Lorsque je discutais avec quelques mannequins lors d’un défilé ESMOD, c’était souvent la même chose qui revenait, et l’une d’elle m’a dit qu’elle avait dû se déshabiller alors qu’elle n’avait que 17 ans… De ce que je sais, ça n’est jamais allé plus loin que ça mais… Cet homme doit avoir la soixantaine, quoi. C’est vraiment bizarre.»

Photoshoot d’août 2020, stylisme par Sara Kusberg – © Zaead.

Aujourd’hui, Mia n’est plus représentée par aucune agence, et ne travaille que sur quelques projets de personnes de confiance, des photographes qu’elle apprécie ou pour aider les étudiant.e.s d’école de maquillage, d’ESMOD ou de St Luc. Elle a décidé, il y a un an, de tout quitter après avoir intégré une agence parisienne, pour protéger sa santé mentale.

La quête de la maigreur, à tout prix

Son histoire est sans doute similaire à celle d’une centaine d’autres filles, voire plus. Une opportunité en or, une offre qu’on ne peut refuser, et l’on se retrouve entraînée dans un cercle vicieux que l’on n’avait pas vu venir.
«Quand j’ai été prise à Paris, c’était la période du 1er confinement. Ils n’avaient vu de moi que mon Instagram, jamais mon apparence en vrai. J’ai dû envoyer des photos de moi en maillot de bain et, là, ils m’ont répondu que j’allais devoir faire un régime.»
Cette demande était une véritable surprise pour Mia, qui n’avait jamais eu de problèmes concernant son poids ou sa carrure. «Sachant que je faisais un 36, à la limite du 34, ils me demandaient de faire un 34 pile – ou mieux, un 32, ce qui est assez difficile à atteindre en étant grande.»

Son agent lui envoie alors toute une notice pour accomplir le régime parfait, avec une liste d’aliments à éviter, des idées de plats “healthy”, et lui recommande de faire beaucoup de sport. «Honnêtement, le sport ne me dérangeait pas tant que ça, donc j’en ai fait énormément. Mais je ne voyais pas mon poids baisser comme je le voulais, je ne savais plus quoi faire à ce stade… Et c’est comme ça que j’ai commencé à sauter des repas, de plus en plus fréquemment.»

Un mois et demi plus tard, l’agence lui donnait le feu vert après avoir vu ses “progrès”. Mais à quel prix? C’est la question qu’elle s’est posée à ce moment crucial.
«Je ne mangeais presque plus rien, je me sentais faible, au bord de la syncope à chaque mouvement. Je pleurais quand je me regardais dans le miroir, parce que je me trouvais grosse. C’est ça qui a commencé à me faire sérieusement regretter, j’étais tellement mal, autant physiquement que mentalement. J’ai été obligée de voir des spécialistes, comme un nutritionniste, un psychiatre… La totale quoi.» Grâce à sa mère, qui l’a rattrapée au vol, elle a eu le déclic qui lui a permis de s’en sortir. Elle a recommencé à manger sainement, s’est battue contre cette dysmorphophobie grandissante, et considère s’en être “assez bien sortie”.

Dans les rues de Paris, décembre 2021 – © Ohiannamarre

Une discrimination évidente

Concernant les différences de traitement dans le milieu, Mia n’a vraiment eu l’occasion de s’en rendre compte qu’une fois, lors d’un défilé. «Déjà, il y avait très peu de mannequins de couleur. Et, bien sûr, il n’y avait aucun coiffeur qui avait la capacité de s’occuper des cheveux crépus. La mannequin avec qui je m’entendais super bien, qui avait ce type de cheveux, a dû appeler une de ses copines pour qu’elle vienne la coiffer! C’était complètement ridicule.»

Certes, les profils commencent à se faire un peu plus variés, car les agences ont compris qu’il y avait un besoin de diversité grâce aux réseaux sociaux, mais l’hypocrisie est toujours présente. Ce genre de situations est assez courant et, au fond, on ne sait pas vraiment qui blâmer pour ce manque de prévoyance… Ni quand le problème finira par disparaître.

« Le mannequinat, ça m’a ouvert les yeux sur le monde artistique. »

Pour conclure, je lui demande de décrire le métier en 3 mots. Après un temps d’hésitation, elle emploie ces termes: fatiguant, inspirant, et elle insiste sur la nécessité d’avoir confiance en soi. Pour toutes les personnes qui seraient tentées par l’aventure du mannequinat, elle donne aussi ces conseils:
«Il ne faut pas prendre les critiques trop personnellement, et c’est le plus important – et le plus dur. Aussi, ce n’est pas tout rose, ce n’est pas un métier où tu vas faire ça toute ta vie. On ne met en valeur que les plus jeunes, parce que ce sont tes “meilleures années” selon les codes, mais ça ne durera qu’un temps. Le mannequinat, ça m’a ouvert les yeux sur le monde artistique. C’est très dur de “percer”, parce que c’est le métier qui te choisit, pas l’inverse.»

– Lena Berquier

* upcycler: anglicisme, venant du verbe to upcycle, signifiant recycler un objet en un produit de qualité supérieure – dans ce cas, transformer un ou plusieurs vêtements en une création unique.

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