Sorti dans nos salles françaises le 8 mars 2023, “Women Talking” était l’un des nombreux films en lice pour les Oscars. Réalisé par Sarah Polley, le casting est quasi exclusivement féminin, et aborde de lourds sujets sans détours.
[TW: violences sexuelles]
Entre pièce de théâtre et essai philosophique se situe le long-métrage de Sarah Polley, “Women Talking”, adapté du livre de Miriam Toews. Pendant une heure et quarante-quatre minutes, un drame se déroule entre les murs d’une grange. Dix femmes se rassemblent pour une longue discussion sur leur sort, en réaction à une série de viols perpétrés par de nombreux hommes de la colonie.
La chose la plus frappante concernant ce film est la sporadicité de marqueurs temporels, plongeant le spectateur dans le flou quant à la période dans laquelle se déroule cette histoire. Les personnages évoluant dans une colonie mennonite (soit une communauté religieuse isolée, vivant loin des villes et de la technologie), il n’y a rien qui puisse nous aiguiller sur la question. Quelques réponses sont cependant apportées, via la mention d’antibiotiques ou, plus tard, le passage d’une voiture pour le recensement de l’année 2010.
Quant au lieu de résidence de nos personnages, il est difficile de deviner où se trouve cette colonie – bien que l’on suppose quelque part en Amérique du Nord, dû aux accents.
Salome (Claire Foy) tenant dans ses bras sa fille Miep, et Ona (Rooney Mara).
De plus, le ton du film ressemble bien plus à celui d’une pièce de théâtre. La majeure partie de l’action se passe dans la grange, au milieu de la colonie; autour, des champs à perte de vue. La simplicité des paysages et des costumes permet de mettre l’emphase sur ce qui est dit, plutôt que ce qui est montré. D’ailleurs, on ne montre pas grand-chose: le peu d’images fortes sont brèves, mais impactantes.
Quant aux agressions commises, elles sont aussi violentes que furtives.
Les violeurs se glissent dans les maisons en pleine nuit, utilisent du tranquillisant pour vaches afin de plonger leurs victimes dans un profond sommeil, et ne laissent que des bleus derrière eux. Certaines sont tombées enceintes suite à cela – comme le personnage d’Ona, interprété par Rooney Mara.
Petit à petit, l’intrigue révèle que les hommes ne s’arrêtent pas aux jeunes femmes, mais s’attaquent aussi aux enfants. Miep n’a que 4 ans et sa mère, Salome, a dû se rendre en secret dans la ville la plus proche pour se procurer des antibiotiques.
Entre traumatismes, grossesses et infections, ces attaques à répétition menacent l’ensemble de la colonie. Bien que placés en prison en ville pour leur “protection”, les agresseurs ne tarderont pas à réintégrer la communauté: le temps presse.
Chaque femme représente une forme de réaction face à la situation: la “female rage” (Salome), capable de violence et de haine; le déni et la minimisation, doublés de misogynie intériorisée (Mariche); le syndrôme post-traumatique (Mejal); le détachement (Autje)…
Certaines se raccrochent à leur vie de famille pour se convaincre de pardonner leurs agresseurs, d’autres à leur innocence et leurs jeux d’enfants… Chacune a ses arguments pour rester ou partir: mais, au milieu de tout, se trouve leur foi.
August (Ben Whishaw), l’instituteur, discute avec Ona et Salome.
Les thèmes abordés sont nombreux, mais la foi est absolument centrale. Elle est la raison même du vote organisé: si elles refusent de pardonner les hommes, elles seront bannies et de la colonie, et du Paradis.
Ces femmes n’ont pas eu le droit à une éducation, contrairement à leurs homologues masculins, et sont cantonnées à des rôles d’épouses et de mères. On ne leur donne pas les clés pour s’exprimer, et encore moins le vocabulaire pour définir ce qui leur est infligé.
Elles n’ont pas le droit de remettre en question l’autorité des hommes, et encore moins leur propre place dans cette société. En plus de la violence psychologique imposée par cette liberté entravée, les violences physiques sont bien présentes, autant par ces viols que par des sévices conjugaux.
La décision finale, prise par ce conseil restreint, est de partir: c’est une façon de démontrer leur foi, dont le principe fondamental est le pacifisme, mais aussi de choisir le chemin du véritable pardon. Comme le dit Ona: “Is forgiveness that’s imposed upon us true forgiveness?” (“Le pardon que l’on nous impose est-il un réel pardon?”)
À l’ère des dénonciations telles que le mouvement #MeToo, ce film est une façon de concentrer, à une échelle réduite, toutes les violences subies par les femmes.
“Women Talking” est donc une longue réflexion sur le pardon, la foi, les violences sexistes et sexuelles, le patriarcat (dans ce cas, poussé à l’extrême), la solidarité, l’espoir, l’importance de l’éducation, et la participation des femmes aux schémas sexistes.
– Lena Berquier
Lien vers une interview de Sarah Polley, la réalisatrice (en anglais): https://ew.com/movies/women-talking-sarah-polley-interview/