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“Women Talking”, un drame à échelle humaine

Sorti dans nos salles françaises le 8 mars 2023, “Women Talking” était l’un des nombreux films en lice pour les Oscars. Réalisé par Sarah Polley, le casting est quasi exclusivement féminin, et aborde de lourds sujets sans détours.

[TW: violences sexuelles]

Entre pièce de théâtre et essai philosophique se situe le long-métrage de Sarah Polley, “Women Talking”, adapté du livre de Miriam Toews. Pendant une heure et quarante-quatre minutes, un drame se déroule entre les murs d’une grange. Dix femmes se rassemblent pour une longue discussion sur leur sort, en réaction à une série de viols perpétrés par de nombreux hommes de la colonie. 

La chose la plus frappante concernant ce film est la sporadicité de marqueurs temporels, plongeant le spectateur dans le flou quant à la période dans laquelle se déroule cette histoire. Les personnages évoluant dans une colonie mennonite (soit une communauté religieuse isolée, vivant loin des villes et de la technologie), il n’y a rien qui puisse nous aiguiller sur la question.  Quelques réponses sont cependant apportées, via la mention d’antibiotiques ou, plus tard, le passage d’une voiture pour le recensement de l’année 2010.

Quant au lieu de résidence de nos personnages, il est difficile de deviner où se trouve cette colonie – bien que l’on suppose quelque part en Amérique du Nord, dû aux accents. 

Salome (Claire Foy) tenant dans ses bras sa fille Miep, et Ona (Rooney Mara).

De plus, le ton du film ressemble bien plus à celui d’une pièce de théâtre. La majeure partie de l’action se passe dans la grange, au milieu de la colonie; autour, des champs à perte de vue. La simplicité des paysages et des costumes permet de mettre l’emphase sur ce qui est dit, plutôt que ce qui est montré. D’ailleurs, on ne montre pas grand-chose: le peu d’images fortes sont brèves, mais impactantes. 

Quant aux agressions commises, elles sont aussi violentes que furtives. 

Les violeurs se glissent dans les maisons en pleine nuit, utilisent du tranquillisant pour vaches afin de plonger leurs victimes dans un profond sommeil, et ne laissent que des bleus derrière eux. Certaines sont tombées enceintes suite à cela – comme le personnage d’Ona, interprété par Rooney Mara. 

Petit à petit, l’intrigue révèle que les hommes ne s’arrêtent pas aux jeunes femmes, mais s’attaquent aussi aux enfants. Miep n’a que 4 ans et sa mère, Salome, a dû se rendre en secret dans la ville la plus proche pour se procurer des antibiotiques. 

Entre traumatismes, grossesses et infections, ces attaques à répétition menacent l’ensemble de la colonie. Bien que placés en prison en ville pour leur “protection”, les agresseurs ne tarderont pas à réintégrer la communauté: le temps presse.

Chaque femme représente une forme de réaction face à la situation: la “female rage” (Salome), capable de violence et de haine; le déni et la minimisation, doublés de misogynie intériorisée (Mariche); le syndrôme post-traumatique (Mejal); le détachement (Autje)…

Certaines se raccrochent à leur vie de famille pour se convaincre de pardonner leurs agresseurs, d’autres à leur innocence et leurs jeux d’enfants… Chacune a ses arguments pour rester ou partir: mais, au milieu de tout, se trouve leur foi.

August (Ben Whishaw), l’instituteur, discute avec Ona et Salome.

Les thèmes abordés sont nombreux, mais la foi est absolument centrale. Elle est la raison même du vote organisé: si elles refusent de pardonner les hommes, elles seront bannies et de la colonie, et du Paradis. 

Ces femmes n’ont pas eu le droit à une éducation, contrairement à leurs homologues masculins, et sont cantonnées à des rôles d’épouses et de mères. On ne leur donne pas les clés pour s’exprimer, et encore moins le vocabulaire pour définir ce qui leur est infligé.

Elles n’ont pas le droit de remettre en question l’autorité des hommes, et encore moins leur propre place dans cette société. En plus de la violence psychologique imposée par cette liberté entravée, les violences physiques sont bien présentes, autant par ces viols que par des sévices conjugaux.

La décision finale, prise par ce conseil restreint, est de partir: c’est une façon de démontrer leur foi, dont le principe fondamental est le pacifisme, mais aussi de choisir le chemin du véritable pardon. Comme le dit Ona: “Is forgiveness that’s imposed upon us true forgiveness?” (“Le pardon que l’on nous impose est-il un réel pardon?”)

À l’ère des dénonciations telles que le mouvement #MeToo, ce film est une façon de concentrer, à une échelle réduite, toutes les violences subies par les femmes.

“Women Talking” est donc une longue réflexion sur le pardon, la foi, les violences sexistes et sexuelles, le patriarcat (dans ce cas, poussé à l’extrême), la solidarité, l’espoir, l’importance de l’éducation, et la participation des femmes aux schémas sexistes.

– Lena Berquier

Lien vers une interview de Sarah Polley, la réalisatrice (en anglais): https://ew.com/movies/women-talking-sarah-polley-interview/

Elle nous montre sa culotte !

Géraldine Galvis, styliste et designer pleine d’énergie, saute de bar en bar pour nous montrer… sa culotte menstruelle ! Elle participe à un concours en ligne qui, si elle gagne, lui permettra de payer un an de traitement cardiaque à son père, vivant au Venezuela.

Les éclats de rire, le chant et la danse envahissent la pièce. Dans ce bar tout en longueur du Vieux-Lille, nous buvons un verre avec quelques amis. Lorsque la chanson s’arrête, quelqu’un prend la parole, Géraldine nous parle de son projet : gagner le concours Textile Addict afin de soutenir sa famille au Venezuela. C’est le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, que nous nous rencontrons pour cette interview. Journée idéale pour Géraldine qui, comme son modèle Diana Sierra, veut que les femmes soient fières de leurs règles et plus encore, qu’elles n’abandonnent jamais.

Arrivée en France en 2015, elle décide de se reconvertir après une période un peu difficile. Géraldine a toujours aimé la couture, le dessin, le domaine créatif. Pour elle, c’est le moment ! Au Venezuela, elle avait fait des études d’administration en entreprise, en France, deux choix s’offraient à elle : recommencer ses études de zéro car celles-ci n’étaient pas reconnues, ou se réorienter. « Si je dois passer deux ans ou trois ans à refaire ce que j’ai déjà fait, autant faire quelque chose que j’aime ». C’est décidé, elle fait donc ses études au SupdeMod de Lyon, où elle obtient en 2019, major de promo, son diplôme de styliste-modéliste. Ce travail, il lui tient beaucoup à cœur, et elle transmet cette passion dans les motifs qu’elle crée : « Je m’amuse beaucoup, parfois je cadre des choses de mon pays, je raconte des histoires ». Les motifs tropicaux restent ses préférés, après tout, ils lui rappellent son pays d’origine au climat chaud et humide, ses plages et ses forêts.

Ce concours, il est fait pour elle. La plateforme Textile Addict organise chaque année un concours* et cette année, c’est en partenariat avec la marque de culotte menstruelle Chérie Louve qu’il est organisé. Le but ? Créer un motif pour une culotte menstruelle avec le thème « j’aime et j’assume mes règles ». Ni une ni deux, Géraldine saute sur l’occasion, elle est dans son élément. Sur sa culotte, on observe différents motifs : des références à Diana Sierra, l’inventrice de la première culotte menstruelle, des portraits de femmes ougandaises, le pays qui a donné à Diana Sierra l’idée d’une protection hygiénique, des fleurs ougandaises qui récupèrent l’eau de pluie à la manière d’une cup qui récupère le sang. Tous ces motifs sont présents sur la culotte de Géraldine qu’elle nomme « Inspiré », tout autant qu’elle. Inspirée, et motivée, car si elle remporte l’un des prix, dont la somme s’élève de 500 à 1 000 euros, elle sera en mesure de payer environ un an de traitement cardiaque à son père. « Au Venezuela, un salaire minimum, c’est environ 25 dollars par mois, ma famille attend que ce soit moi qui les aide, leur situation là-bas est très compliquée ». Ce n’est pas seulement la situation actuelle au Venezuela ou sa dévotion pour sa famille qui la pousse à se présenter à ce concours, mais aussi un parcours beaucoup plus dramatique.

« En fait, je n’ai pas vécu avec mon père »

Ses parents partent pour la capitale afin de trouver du travail. Géraldine naît là-bas, ils habitent dans les favelas et vivent du peu qu’ils ont. En 1989, c’est l’explosion sociale, le Caracazo. Les habitants s’arment, il y a des émeutes, l’armée répond de plus belle, on estime le nombre de morts à environ 3 000. Lorsque les émeutes prennent trop d’ampleur, sa mère prend une décision.

« Ma mère a dû fuir avec nous, mes sœurs et moi. Mon père avait un taxi et travaillait à ce moment-là, à l’époque il n’y avait pas de portables, donc aucun moyen de le contacter. Nous avons fui avec un oncle à la frontière de la Colombie, ma mère a perdu le contact avec mon père. Quelques années plus tard, ma mère l’a retrouvé, mais il avait fondé une autre famille. Elle est tombée dans une situation de précarité bien pire qu’avant et a perdu le droit de nous élever. Alors c’est ma grand-mère paternelle qui nous a récupérées et nous a emmenées dans son petit village pour y vivre. En fait, je n’ai pas vécu avec mon père, car nous ne vivions pas au même endroit et il avait aussi son autre famille. Depuis ce temps-là je me suis promis qu’il fallait aider mes parents, si je ne vivais pas avec eux à cause de la pauvreté, je devais faire des études pour que ce soit possible. »

Géraldine fait donc des études, elle travaille, puis en venant en vacances en France, elle rencontre son ex-mari. Elle l’épouse peu de temps après, mais au bout de quelques mois, ils divorcent, « à un moment donné, je me suis retrouvée sans papiers, j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’allais faire », la famille de son ex-mari avec qui ils restent en très bons termes l’héberge et l’aide du mieux qu’ils peuvent. « Toute cette douleur dans le divorce, je l’ai convertie », c’est là qu’elle se reconvertit et se tourne vers l’une de ses passions : l’art.

Aujourd’hui, Géraldine est donc styliste à Lille, vit de sa passion, et va de bars en bars pour engager les gens à voter pour sa culotte menstruelle ! Les résultats arrivent le 21 mars. En attendant, elle affiche un grand sourire « au Venezuela, même quand c’est difficile, on a beaucoup d’humour, on rigole ! »

*Le concours se déroulait du 13 février au 10 mars, les résultats sont disponibles depuis le 21 mars sur la page du site dédié.

Ysé Himy–Hoffschir

“Blonde”, ou l’exploitation sans fin d’une icône

Avant même sa sortie sur Netflix, le nouveau film d’Andrew Dominik faisait déjà parler de lui. Depuis que “Blonde” est accessible au grand public, la polémique ne cesse de grandir autour de son contenu – et à juste raison.

Ce sont les premières images d’Ana de Armas en Marilyn Monroe, en janvier 2020, qui ont d’abord intrigué. Pris par un paparazzi sur le lieu du tournage, puis partagés massivement sur Twitter, ces quelques clichés montraient l’impressionnante transformation de l’actrice, alors encore relativement peu connue. Le tournage ayant eu lieu à l’été 2019, l’enthousiasme suscité par ces photos s’est lentement transformé en appréhension au fil des révélations faites sur le projet.

Qu’est-ce que “Blonde” ? Il s’agit d’un long-métrage de 2 heures et 46 minutes, réalisé par Andrew Dominik. Il est librement inspiré du roman du même nom, écrit par Joyce Carol Oates et paru en 2000 – une biographie fictive de l’iconique Marilyn Monroe.

Adrian Brody et Ana de Armas dans le film « Blonde », 2022. © Allociné

Le casting choisi pour l’adaptation sur grand écran semble idéal: Ana de Armas, Adrian Brody, Bobby Cannavale, Julianne Nicholson… De multiples fois reporté à cause de problèmes entre le réalisateur et la production, il est finalement sorti le 28 septembre sur Netflix. Mais, depuis sa sortie, les critiques fusent. Le film est l’un des sujets les plus discutés sur les réseaux sociaux.

La première chose à dire sur ce film? Si vous avez ne serait-ce qu’une once de respect pour la personne qu’était Marilyn Monroe, fuyez. 

Malgré la performance phénoménale d’Ana de Armas, ce long-métrage n’est qu’une excuse du réalisateur pour projeter tous ses fantasmes – et toute occasion est bonne pour humilier Marilyn. Elle est surtout dépeinte comme une enfant perdue, une hystérique, une droguée, une dépravée, et très peu comme une femme forte, assurée et talentueuse. Le film est un enchaînement de traumatismes: avérés, exagérés ou bien totalement fictifs.

Le fil rouge semble être l’absence d’un père, qui la hante à chaque tournant. Au fur et à mesure, Marilyn développe la fâcheuse habitude d’appeler tous les hommes de sa vie “daddy”, ce qui participe d’autant plus à l’infantilisation du personnage. Les traumatismes d’enfance de Marilyn sont clairement exacerbés, voire déformés. 

Andrew Dominik met également en scène un viol qui n’a jamais eu lieu, et ce au bout de 19 minutes de film. Ce serait, selon le film, la manière dont Marilyn a décroché son rôle dans “Don’t Bother to Knock”. Quand on sait que Marilyn était abusée sexuellement dans son adolescence, ce choix est d’autant plus incompréhensible.

Capture d’écran de la scène du casting, suivie du viol de Marilyn.

En plus de ses nombreuses scènes de nu, agressions sexuelles, humiliations et autres parties de jambes en l’air inutiles, viennent les scènes qui dérangent le plus: celles concernant les grossesses.

C’est un fait, Marilyn Monroe voulait des enfants. Elle rêvait d’avoir une famille – et le personnage le mentionne même dans le film -, rêve que son endométriose lui avait toujours interdit. Alors, pourquoi ? Pourquoi avoir incorporé ces deux avortements, ces deux scènes d’une violence digne des pires spots anti-avortement ? Quel était le but de ce plan, vu de l’intérieur de son vagin, à part être gratuitement obscène ? Pourquoi cette représentation d’un fœtus, beaucoup trop humain pour une grossesse encore dans son premier trimestre ? Et pire – pourquoi avoir décidé de le faire parler pour blâmer Marilyn et lui dire, je cite: “Tu ne me feras pas de mal cette fois ?” 

Les vues anti-avortement du réalisateur sont si peu subtiles que c’en est insupportable. Utiliser une femme ayant subi plusieurs fausses couches pour relayer ce genre de message frôle l’immoral. Et c’est précisément cela qui fait polémique.

La scène polémique du fœtus culpabilisant Marilyn.

Pour conclure tout cela, on peut dire que “Blonde” est tout bonnement une insulte à la mémoire du personnage complexe et fascinant qu’était Marilyn Monroe. Aucune référence n’est faite à ses positions bien tranchées sur la ségrégation, ou bien à la création de sa propre production, à sa lutte contre les contrats abusifs des studios de cinéma, ou à sa volonté de sortir du stéréotype de la “blonde bombshell”.

Ces 2 heures et 46 minutes peuvent être résumées en quelques mots: Marilyn infantilisée, humiliée, et utilisée à des fins répugnantes. Même un demi siècle après sa mort, elle ne cessera jamais d’être exploitée par les hommes, pour les hommes.

– Lena Berquier

Glamour, gloire et beauté: Mia et le monde du mannequinat

Mannequin, c’est un métier qui en fait rêver plus d’un.e. La promesse d’une vie de paillettes, et de voyages pour les plus chanceux.ses. Mais que se passe-t-il vraiment en coulisses? Mia nous raconte son expérience – les bons souvenirs, et les dessous plus sombres que les vêtements et les flashs peuvent cacher.

Tout a commencé un peu par hasard, dans les rayons d’une friperie de Dunkerque. Mia, alors fraîchement entrée au lycée, se fait repérer par un des employés – un ancien élève d’ESMOD qui mettait à profit ses créations pour la boutique. «Il avait un petit atelier juste à côté, et créait, upcyclait* des vêtements pour ensuite les vendre, pour en faire des pièces un peu plus dans l’air du temps.»

Pendant les 3 ans que durent le lycée, Mia participe
donc à des petits défilés, de temps à autre, pour faire vivre ces collections. Dans la foulée, elle fait ses premiers shootings photos, non rémunérés, et rencontre la photographe qui la convainc d’envoyer son profil à quelques agences de mannequins de la région. «Je l’ai fait, mais je n’y croyais pas du tout» dit-elle en souriant. «Au final, une agence lilloise m’a rappelée, je suis allée les voir, fait des photos… Et j’ai signé, en avril 2019, à tout juste 18 ans!».

Mia par le photographe Thomas Correia, janvier 2021.

Mia, c’est une grande blonde aux yeux bleus, aux lèvres bien
dessinées, et une mâchoire définie. Elle a ce charme naturel, cette présence indéniable et ce, même en appel vidéo. Difficile de croire qu’une fille comme elle douterait de ses chances d’entrer en agence… et pourtant.

À plusieurs reprises, elle me confie que la confiance en soi n’était pas quelque chose d’inné chez elle, mais qu’elle était cruciale dans ce milieu.

De l’agence au freelance

Même si elle n’a travaillé que jusqu’à fin 2020 en agence, Mia a eu l’occasion de participer à beaucoup de projets différents. Du shooting sur les terrils de Lens, dans le froid en vêtements de haute couture – son projet préféré -, à celui inspiré d’un set obscur des années 80, couverte de bandages et dans des positions farfelues, son portfolio est assez varié. Cela dit, ce ne sont pas les projets les plus professionnels qui sont les plus stressants à ses yeux ce qui peut paraître surprenant.

«Les moments où j’avais le plus de pression, c’était les défilés pour les étudiant.e.s d’ESMOD. Rien qu’en 2021, j’en ai fait 3 ou 4. Et souvent, je les connais déjà, je les ai vu évoluer – et leur collection, c’est vraiment leur bébé, ils y travaillent depuis des années, et j’ai toujours peur de ne pas être à la hauteur de leurs attentes. Je ne sais pas pourquoi, mais ça me tient vraiment à cœur.»

Bien sûr, être modèle apporte aussi son lot de situations embarrassantes. Mia se souvient particulièrement bien de son tout premier shooting photo, ainsi que du photographe. «C’était à Roubaix, et je me suis retrouvée toute seule avec lui. L’ambiance était un peu étrange, et il me demandait de me dénuder un peu, de poser d’une certaine façon pour mettre l’accent sur le fait que j’étais mince» se rappelle-t-elle, les sourcils froncés. «Et il était vraiment très cassant, se permettait de descendre ma bretelle de soutien-gorge… J’avais limite peur de ne pas ressortir vivante, je pensais “Maman, aide-moi”! Il ne s’est rien passé, mais c’était quand même très malaisant.»

D’ailleurs, lorsque je lui demande si quelques noms de personnes à éviter tournent dans le milieu, elle me répond immédiatement que oui: et surtout celui de ce photographe en question. «Il y a d’autres filles qui se sont aussi senties très mal à l’aise avec lui. Lorsque je discutais avec quelques mannequins lors d’un défilé ESMOD, c’était souvent la même chose qui revenait, et l’une d’elle m’a dit qu’elle avait dû se déshabiller alors qu’elle n’avait que 17 ans… De ce que je sais, ça n’est jamais allé plus loin que ça mais… Cet homme doit avoir la soixantaine, quoi. C’est vraiment bizarre.»

Photoshoot d’août 2020, stylisme par Sara Kusberg – © Zaead.

Aujourd’hui, Mia n’est plus représentée par aucune agence, et ne travaille que sur quelques projets de personnes de confiance, des photographes qu’elle apprécie ou pour aider les étudiant.e.s d’école de maquillage, d’ESMOD ou de St Luc. Elle a décidé, il y a un an, de tout quitter après avoir intégré une agence parisienne, pour protéger sa santé mentale.

La quête de la maigreur, à tout prix

Son histoire est sans doute similaire à celle d’une centaine d’autres filles, voire plus. Une opportunité en or, une offre qu’on ne peut refuser, et l’on se retrouve entraînée dans un cercle vicieux que l’on n’avait pas vu venir.
«Quand j’ai été prise à Paris, c’était la période du 1er confinement. Ils n’avaient vu de moi que mon Instagram, jamais mon apparence en vrai. J’ai dû envoyer des photos de moi en maillot de bain et, là, ils m’ont répondu que j’allais devoir faire un régime.»
Cette demande était une véritable surprise pour Mia, qui n’avait jamais eu de problèmes concernant son poids ou sa carrure. «Sachant que je faisais un 36, à la limite du 34, ils me demandaient de faire un 34 pile – ou mieux, un 32, ce qui est assez difficile à atteindre en étant grande.»

Son agent lui envoie alors toute une notice pour accomplir le régime parfait, avec une liste d’aliments à éviter, des idées de plats “healthy”, et lui recommande de faire beaucoup de sport. «Honnêtement, le sport ne me dérangeait pas tant que ça, donc j’en ai fait énormément. Mais je ne voyais pas mon poids baisser comme je le voulais, je ne savais plus quoi faire à ce stade… Et c’est comme ça que j’ai commencé à sauter des repas, de plus en plus fréquemment.»

Un mois et demi plus tard, l’agence lui donnait le feu vert après avoir vu ses “progrès”. Mais à quel prix? C’est la question qu’elle s’est posée à ce moment crucial.
«Je ne mangeais presque plus rien, je me sentais faible, au bord de la syncope à chaque mouvement. Je pleurais quand je me regardais dans le miroir, parce que je me trouvais grosse. C’est ça qui a commencé à me faire sérieusement regretter, j’étais tellement mal, autant physiquement que mentalement. J’ai été obligée de voir des spécialistes, comme un nutritionniste, un psychiatre… La totale quoi.» Grâce à sa mère, qui l’a rattrapée au vol, elle a eu le déclic qui lui a permis de s’en sortir. Elle a recommencé à manger sainement, s’est battue contre cette dysmorphophobie grandissante, et considère s’en être “assez bien sortie”.

Dans les rues de Paris, décembre 2021 – © Ohiannamarre

Une discrimination évidente

Concernant les différences de traitement dans le milieu, Mia n’a vraiment eu l’occasion de s’en rendre compte qu’une fois, lors d’un défilé. «Déjà, il y avait très peu de mannequins de couleur. Et, bien sûr, il n’y avait aucun coiffeur qui avait la capacité de s’occuper des cheveux crépus. La mannequin avec qui je m’entendais super bien, qui avait ce type de cheveux, a dû appeler une de ses copines pour qu’elle vienne la coiffer! C’était complètement ridicule.»

Certes, les profils commencent à se faire un peu plus variés, car les agences ont compris qu’il y avait un besoin de diversité grâce aux réseaux sociaux, mais l’hypocrisie est toujours présente. Ce genre de situations est assez courant et, au fond, on ne sait pas vraiment qui blâmer pour ce manque de prévoyance… Ni quand le problème finira par disparaître.

« Le mannequinat, ça m’a ouvert les yeux sur le monde artistique. »

Pour conclure, je lui demande de décrire le métier en 3 mots. Après un temps d’hésitation, elle emploie ces termes: fatiguant, inspirant, et elle insiste sur la nécessité d’avoir confiance en soi. Pour toutes les personnes qui seraient tentées par l’aventure du mannequinat, elle donne aussi ces conseils:
«Il ne faut pas prendre les critiques trop personnellement, et c’est le plus important – et le plus dur. Aussi, ce n’est pas tout rose, ce n’est pas un métier où tu vas faire ça toute ta vie. On ne met en valeur que les plus jeunes, parce que ce sont tes “meilleures années” selon les codes, mais ça ne durera qu’un temps. Le mannequinat, ça m’a ouvert les yeux sur le monde artistique. C’est très dur de “percer”, parce que c’est le métier qui te choisit, pas l’inverse.»

– Lena Berquier

* upcycler: anglicisme, venant du verbe to upcycle, signifiant recycler un objet en un produit de qualité supérieure – dans ce cas, transformer un ou plusieurs vêtements en une création unique.

Violences conjugales, Fabienne Boulard forme et prête main-forte

Gardienne de la paix depuis trente ans, Fabienne Boulard est activement impliquée dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Entre les formations qu’elle donne à ses collègues pour mieux accueillir la parole des victimes d’abus conjugaux et son QR code discrètement remis aux femmes en détresse, la majore de police livre sa conception de l’engagement et de son métier. 

À peine sortie de sa journée de travail et encore à l’extérieur, Fabienne Boulard répond à l’interview par téléphone. Sa voix assurée au débit rapide parfois parasitée par les bruits alentours transmettent l’impression d’une femme infatigable portée par ses convictions, qui lui sont venues très tôt avec le bénévolat qu’elle découvre à 17 ans.

Après avoir fait fausse route dans les amphithéâtres de la faculté de droit, la jeune femme passe le concours de gardien de la paix en 1989 suivi d’une année d’école de police à Saint Malo puis de son affectation dans les Yvelines. Ses dix premières années se déroulent au sein de la police secours, l’équipe affiliée au numéro d’urgence 17, puis de sept ans durant lesquels elle est chargée d’orienter ses collègues en situation difficile vers des institutions de suivis psychologique, économique ou social. Aujourd’hui rattachée au domaine de la formation, Fabienne Boulard appréhende son travail comme bien plus qu’un gagne-pain : “J’ai toujours fait mon métier en me disant que je suis au service des autres. À partir de ce moment-là, je ne peux pas imaginer mon métier comme un fonctionnaire de base.”. L’engagement associatif et les projets de lutte contre les violences faites aux femmes constituent alors une extension logique de son parcours.

Un QR code pour les femmes victimes d’abus, une aide à portée de téléphone

Il y a un an, Fabienne Boulard a mis au point dans son département un QR code à scanner contenant un document avec plusieurs associations d’aides contre les violences. Il doit être remis aux femmes par les policiers qui interviennent au domicile conjugal. La discrétion est le maître-mot de ce projet qui répond à une réalité parfois trop complexe pour être appréhendée de manière classique : “Monsieur est très volubile, madame est très renfermée, […] on voit bien qu’elle s’est remis du fond de teint parce qu’elle a pris des coups. Sauf que rien n’est dénoncé et dans ces cas-là on ne peut pas interpeller. Mais en même temps, on se dit qu’il faut donner des informations à cette femme parce que si ça se trouve, nous, on va être le seul contact qu’elle va voir avec l’extérieur”, résume Fabienne. En plus de satisfaire un critère de proximité en proposant des associations voisines de la victime, l’absence de trace physique de ce QR code assure une certaine protection à cette dernière. Plus récemment, ce dispositif a été décliné en flyers mis à disposition des professionnels de santé et des mairies dans le but d’élargir le champ d’action. 

Hébergé sur un site lambda plutôt que sur la plateforme de la police, là encore dans un souci de discrétion, le succès de cette opération est difficile à mesurer. Ce qui est par contre beaucoup plus tangible, c’est l’enthousiasme qu’il suscite de la part des collègues de Fabienne, qui voient en cette initiative une véritable contribution à la lutte contre les violences conjugales. 

“Il lui tape dessus parce qu’elle boit ou elle boit parce qu’il lui tape dessus ?” déconstruire les clichés par la formation

Pourquoi n’a-t-elle pas porté plainte plus tôt ? Pourquoi ne parle-t-elle pas ? Face aux préjugés sexistes qui persistent bien au-delà des commissariats et au mauvais accueil des victimes, la majore de police a mis en place des formations qui bousculent les convictions les plus tenaces.

« Le comportement d’une victime est une conséquence des violences, pas une cause” 

Premier arrêt à Istanbul, où a été signée par l’Union Européenne la conférence du même nom qui encadre juridiquement les violences conjugales. Ensuite, un détour vers la psychiatrie avec les travaux de la neurologue Carole Azuar et de la psychiatre Muriel Salmona, consacrés entre autres à la victimologie et au stress post-traumatique. Terminus, le coup de grâce est porté aux clichés sexistes en montrant comment une situation à priori banale cache une réalité plus sombre : “Quand monsieur accueille les policiers à son domicile et dit « Regardez, elle est complètement saoule. Que voulez-vous que je fasse ?” pour justifier les coups qu’il lui porte. Sauf qu’il lui tape dessus parce qu’elle boit ou elle boit parce qu’il lui tape dessus ? Il faut remettre les choses à l’endroit. Le comportement d’une victime est une conséquence des violences, pas une cause”, explique Fabienne. Qu’ils soient derrière les murs en carton-pâte d’un HLM de banlieue ou étouffés par les grilles d’une résidence huppée, les abus conjugaux sont un fléau qui touche tous les milieux sociaux rappelle aussi la majore de police. 

Si Fabienne Boulard a une certitude chevillée au corps, c’est bien que l’explication et l’éducation sont les remèdes à tous les maux. Elle-même sujette à relayer les préjugés par le passé, elle conçoit ses formations (à son grand regret reprises seulement en ligne par le ministère de l’Intérieur) de manière à avoir un impact sensible sur les mentalités parfois les plus récalcitrantes. Si certains « mulets », comme elle les surnomme avec humour, restent obstinés, la plupart des collègues de Fabienne appréhendent désormais les quelques minutes que dure une interpellation avec un autre regard. 

Une femme dans la police comme un éléphant dans un magasin de porcelaine ? 

La métaphore ne semble plus être d’actualité si l’on en croit l’expérience personnelle de Fabienne. Dès son entrée à l’école de police, de fortes disparités s’observent : trois cent dix hommes pour seulement cinquante femmes. Mais cet environnement majoritairement masculin ne semble pas décourager la jeune policière qui répond sobrement  “Pour faire la même chose que toi” à son chef de brigade Yvelinois qui s’interroge sur sa présence. C’est dans cette optique d’être sur un même pied d’égalité que ses homologues masculins qu’elle parvient à faire “son bonhomme de chemin”, harnachée de sa langue qui a du mal à rester dans sa poche. Elle insiste également sur la complémentarité des sexes dans ce métier qui nécessite parfois des interventions bien différentes : “Quand j’étais dans la police secours et qu’il y avait besoin de castagne, le collègue de cent dix kilos y allait. Mais quand il fallait aller à la parlote, c’était moi. C’était complémentaire.”. Sans pour autant occulter les machistes persistants encore dans le milieu de la police, la majore de police perçoit un certain changement dans les mentalités au prisme d’une société de plus en plus inclusive. 

Le sujet des violences conjugales fait les gros titres depuis longtemps. Pourtant, il est encore nécessaire de s’y consacrer et d’innover dans nos réponses à ce fléau, l’engagement de Fabienne Boulard en est un parfait exemple. 

Une médecine plus douce pour moins de médicaments, aude maillard a fait son choix

Aude Maillard est docteure en pharmacie. En 2005, elle décide, par conviction et par instinct, de se lancer dans l’aromathérapie, une filière encore peu explorée. L’aromathérapie consiste en une médecine plus respectueuse qui utilise les huiles essentielles à des fins thérapeutiques. Aude Maillard nous raconte son parcours.

La pandémie de la Covid 19 en dit beaucoup sur les fragilités du système immunitaire de l’humanité. Prendre soin de son corps et de sa santé devient important. Il est possible de le faire à l’aide de l’aromathérapie afin de renforcer son immunité ou de mieux gérer son stress. C’est ce que l’ancienne pharmacienne préconise.

Aude Maillard est diplômée de la faculté de pharmacie de Tours. Après 7 ans d’officine, elle ne se sent plus en adéquation avec l’esprit allopathique. Autrement dit, elle s’interroge sur la médecine traditionnelle. Alors, Aude commence à participer à quelques formations sur l’utilisation des plantes et des huiles essentielles afin de se soigner.

Aude Maillard creuse la faille floue de l’aromathérapie. Cette nouvelle médecine est peu connue du grand public. Lors de son congé maternité elle se forme progressivement, “J’ai eu besoin de faire autre chose” explique-t-elle. Elle profite de cette période de changement pour participer à des formations beaucoup plus poussées et bien plus précises. L’ancienne pharmacienne se passionne pour cette discipline. Elle trouve davantage de sens en l’aromathérapie qu’elle n’en avait derrière le comptoir d’une pharmacie traditionnelle. “J’ai l’impression d’avoir une mission utile de prévention de la santé, de protection du système immunitaire », livre-t-elle.

« On m’a ri au nez »Aude Maillard

Persuadée de l’efficacité des huiles sur notre organisme et notre immunité, elle démissionne en 2005 pour se mettre à son propre compte. Elle témoigne : “On m’a ri au nez. Presque personne n’y croyait autour de moi ». Selon elle, cela a été “un départ instinctif”. Après diverses formations approfondies et l’obtention d’une certification d’aromatologue, elle démarre en tant qu’auto-entrepreneuse. Elle y apprend les bienfaits des huiles essentielles et leurs effets sur le corps :  “On n’apprend pas ce genre de choses à la fac. C’est tout ce que j’ai appris après qui m’a aidé” atteste-t-elle alors. Elle crée, ensuite, sa société AMconseil accompagnée de sa marque de formation AMSOAM et commence à organiser des ateliers et des cours.

Des collaborations qui fondent la renommée d’Aude Maillard

Son tout nouveau site internet interpelle le magazine Plantes et Santé qui la sollicite afin de créer une chronique mensuelle d’aromathérapie. “Au niveau de la notoriété, ça m’a beaucoup aidé”, explique Aude.

En 2008, elle envoie une lettre à Aroma-Zone, grande filière de cosmétiques naturels et biologiques. Sa proposition : réaliser des ateliers d’aromathérapie auprès de gens qui voudraient se former. La firme accepte instantanément.

De fil en aiguille, le nom d’Aude Maillard commence à se faire connaître. Aroma-Zone lui propose d’écrire un livre en collaboration. Ainsi, Le grand guide de l’aromathérapie et des soins beauté naturels est publié en 2016 suivi du Petit guide des huiles essentielles, puis de Femme essentielle en 2019. Tous ces ouvrages ont pour objectif de sensibiliser à une médecine plus respectueuse et à l’utilisation des huiles bénéfiques pour le corps. “L’aromathérapie permet de consommer moins de médicaments. Je ne suis pas anti-médicaments mais je pense que le corps doit s’entretenir et s’aider des plantes, de la nature.”

Aude Maillard, aromathérapeute indépendante © Studio Century

Vers une sensibilisation de plus en plus étendue ?

Aujourd’hui, avec la crise de la Covid-19, l’activité de Aude Maillard a explosé. Le grand public a besoin d’être guidé dans l’utilisation des huiles essentielles, la présence de l’aromatologue est encore plus forte sur les réseaux sociaux et la réalisation de cours en visioconférence sur internet permet de sensibiliser beaucoup plus de monde.

Dès lors, elle a de plus en plus de demandes de formation de la part du corps médical qui découvrent les bienfaits de ces actifs aromatiques. Son organisme de formation délivre une certification reconnue par le ministère du Travail qui peut orienter des gens vers une reconversion professionnelle. Sur la pandémie, elle s’exprime : “En ce moment, la période révèle que l’immunité de l’humanité est désastreuse”.

Enfin, Aude Maillard donne des cours d’Aromathérapie à la faculté de Tours et dans une école de naturopathe.

Mais quel prix pour se soigner différemment ?

L’aromathérapeute répond : “Tout le monde n’a pas les moyens de prévenir et de s‘entretenir”, “Ça coûte cher”. Les produits aromathérapiques ne sont pas remboursés par la sécurité sociale, de fait réservés à une catégorie de la population plus aisée.

L’aromathérapie est une médecine à part entière qui est de plus en plus étudiée. Peut-être qu’un jour elle accompagnera les médicaments sur les ordonnances.

Lisa Morison

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