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Série.Les femmes dans le drag: une déconstruction des clichés Portrait: Le Point G (4/4)

Avec son look alien et son nom sans détours, Le Point G est une figure importante du drag lillois. Femme trans fortement engagée, elle a d’ailleurs créé sa propre soirée.
De son évolution à ses motivations, voici le dernier portrait de la série.

Look de novembre 2019. © Instagram: @le_point_g

Sur son torse est écrit au marqueur “Fille Manquée”. Alors que la chanson se finit, elle raye d’un trait noir le dernier mot. Elle est femme, et elle en est fière. Cette performance, elle l’a faite au Before de la Zone Érogène, le 2 mars 2020 – sa soirée, qu’elle a créé avec une
autre artiste drag, Tabouret à 3 Pieds.

Mais Le Point G n’en est pas arrivée là aussi facilement.
À ses débuts, c’est un personnage très “grande dame” qui s’impose. “Je me suis lancée dans le drag pour l’aspect artistique. Quand j’étais petite, je faisais du théâtre, et j’ai toujours été attirée par les costumes, le maquillage comme extension du personnage”. Et, bien évidemment, l’essor de RuPaul’s Drag Race l’a inspirée, malgré le manque abyssal de
représentation.
Mais, tout le monde pensait qu’elle était un homme cisgenre, l’opinion générale associant systématiquement homme cis à drag queen. “J’ai eu du mal à faire comprendre que j’étais une femme trans, et ça a d’ailleurs posé problème là où je travaillais avant”.

Un personnage

Le Point G a énormément évolué. À présent, elle expérimente beaucoup avec son personnage: volontairement provocante, dégenrée, délibérément sexualisée… Elle joue avec les limites de genre et de son propre corps par la pratique du BDSM et autres kinks*.
Son objectif? Célébrer tous types de sexualité et d’identité à travers cet art politique.

Au Before de la Zone Érogène, 2 mars 2020. © Joseph “Le Temps est Bon”

“J’avais besoin de me réapproprier mon corps. Dans le milieu gay, il y a quand même cette masculinité toxique, et une “follophobie” ambiante. Pour plaire aux mecs, il faut être “viril”, pas trop efféminé. Beaucoup de mecs cisgenres et gays manquent d’éducation sur plein de sujets importants au sein de la communauté queer.” Ce besoin était accompagné du sentiment de ne pas être à sa place, de ne pas être légitime au sein de la communauté. Les remarques transphobes de ses anciennes collègues, ainsi que des employés du bar où elle
avait l’habitude de se produire, l’ont poussée à se réinventer, à assumer le politique de ses propos et performances, mais aussi à se remettre en question en tant que personne.

Le milieu du drag

D’un point de vue personnel, elle décrit le milieu du drag comme curateur: “Quand être moi devenait insupportable, surtout au niveau de mes études et de ma famille (où je ne suis pas out**), je pouvais me plonger à 100% dans le drag. Ça m’a permis de garder la tête hors de l’eau, de pouvoir créer dans une liberté folle, d’oser, d’avoir une voix en tant que personne marginalisée. Je pense que cell.eux qui n’ont jamais vécu de choses dures n’ont pas vraiment l’idée de se lancer”. Elle se réfère surtout à l’oppression, la censure, les
traumatismes subis par beaucoup de personnes. “Pour cell.eux qui ont eu ce privilège, le drag n’apparaît peut-être pas comme une nécessité – enfin, à mon sens”.

“S’il y a une chose que j’aimerais changer dans le drag, c’est la représentation qu’on en a, et la façon dont il est devenu mainstream »

Cet art, c’était un exutoire lorsqu’elle était en dépression, et l’a aidée à se former une carapace pour s’insérer, à se sentir en sécurité quelque part.
Et, étonnamment, cela lui a permis de faire le tri au niveau relationnel: désormais, elle n’accepte plus ce qu’elle tolérait par le passé. Le Point G a donc aussi changé sa vie sentimentale, car elle attire autant qu’elle peut repousser.

Un exutoire

Pour elle, le drag, c’est se créer un alter ego, de n’importe quel genre, avec des traits et caractéristiques amplifiés. C’est l’idée de se réapproprier son corps pour incarner un personnage, et d’endosser le rôle de porte-étendard pour la communauté. C’est un processus de déconstruction de tous les schémas toxiques qui nous ont été enseignés
depuis notre enfance, et c’est ce dont elle avait besoin.

Au Sidragction de Lille, novembre 2019. © Morgan Prot, Collectif GERDA.

Concernant les problèmes qu’il pourrait y avoir dans le milieu, elle évoque les “dramas” au sein de la communauté lilloise, qui ont pu diviser les artistes; également, l’invisibilisation des femmes et des personnes trans et intersexes. Elle souhaiterait “plus de bienveillance et
d’inclusivité (par exemple, permettre l’accès aux shows aux PMR***)”, car la scène lilloise est encore en construction – se soutenir, c’est pouvoir créer plus d’espaces “safe” et inclusifs.

“C’est un art politique, important, qui cherche à faire passer des messages forts »

“S’il y a une chose que j’aimerais changer dans le drag, c’est la représentation qu’on en a, et la façon dont il est devenu mainstream (coucou RuPaul). En vérité, il n’y a aucune règle à respecter, chacun.e a sa propre vision. Tout ce qu’il faut, c’est de la créativité, de la détermination et de la volonté – et, bien sûr, un minimum de conscience politique.”, dit-elle.

“Il faut le dissocier de la culture gay: ce n’est pas juste un art d’animation et de divertissement. C’est un art politique, important, qui cherche à faire passer des messages forts. Il ne faut pas se lancer pour les mauvaises raisons. Si au début vous vous lancerez pour votre accomplissement personnel, vous vous rendrez compte que vous le faites aussi pour votre communauté (du moins, je l’espère).”

Ainsi se conclut la série des Femmes dans le drag. À travers le portrait de ces 4 femmes, on remarque beaucoup de similitudes, mais aussi des expériences, des inspirations et des personnalités bien différentes.
Alors, supportez vos drags locales, allez aux shows, suivez-les sur les réseaux: encouragez la créativité!

Léa Dutertre

*kinks = fétiches et pratiques sexuel.les
** être “out” = ne pas cacher son orientation sexuelle ou son identité de genre auprès d’un
groupe de personnes (familles, amis, collègues,…)
*** PMR = Personnes à Mobilité Réduite

Informations pratiques :

Suivez-la sur Instagram : @le_p0int_g. Pour plus d’informations sur sa soirée, voici la page Facebook de l’évènement.

Série.Les femmes dans le drag: une déconstruction des clichés Portrait de Nixe Amère (3/4)

Drag king et artiste burlesque, Nixe Amère joue avec les stéréotypes de genre et les codes de la société. Elle est engagée et n’hésite pas à donner de sa personne pour se faire entendre. Entre personnage et vie personnelle, elle nous livre sa vision de l’art drag.

En backstage du DragKingathon, à Paris, octobre 2019. © Julia Benarrous

Sur scène, des messages forts et des performances décomplexées. Nixe Amère – à l’origine Nick Samère – est un des tout premiers drag king lillois, offrant à chaque nouvelle sortie un visage différent. Tantôt beauf moustachu, tantôt barbu pailleté en costume, son personnage
jongle entre les différentes représentations de la masculinité.

Premier Drag King lillois

D’ailleurs, c’est en assistant à un show burlesque qu’elle a eu l’idée de se lancer: “Un jour j’ai vu Louis(e) de Ville (artiste américaine basée à Paris, NDLR) sur scène, par hasard à St So. Surprise et émotion quand je me rends compte qu’il y a Lolla Wesh (artiste “drag queer”, NDLR) et Louise de Ville sur scène !”, elle raconte. “En fin de soirée, Louis de Ville est apparu pour un numéro drag king. Quand j’ai compris que Louise et Louis n’étaient qu’une seule et même personne, j’ai vraiment eu une révélation. Genre « MAIS OUI ! Évidemment que les drag king existent. Pourquoi j’ai pas réalisé ça plus tôt ?! JE VEUX FAIRE CA ! »… Et hop, quelques mois après je présentais mon premier numéro drag king selfmade.”

“Dans mes numéros j’essaie toujours de revendiquer mes valeurs ou de dénoncer les rouages du patriarcat »

Pourtant, être drag king, ce n’est pas si simple – surtout car il s’agit d’une forme de drag peu connue du grand public, la pop culture s’articulant surtout autour des queens. “Comme beaucoup de gens, j’ai suivi toutes les saisons de RuPaul’s Drag Race. Je n’avais jamais réfléchi plus loin en terme de ce que peut être le drag… Comme beaucoup de gens à qui je
dis que je suis drag king.”
En effet, l’émission est un peu la plateforme rêvée pour toute queen, mais qui ne valorise qu’un seul aspect du drag.

Une méconnaissance du Drag King

Alors, Nixe doit expliquer son personnage: “Les gens ne savent pas ce que c’est, ils ne font pas l’association d’esprit drag queen/drag king. Je dois toujours m’y référer pour qu’ils comprennent. La suite de la conversation tourne souvent comme ça: « Tu vois ce que c’est une drag queen ? / – Oui. / – Bah, c’est pareil, mais l’inverse ! ». On s’arrête au champ des possibles donné par les représentations établies”. Quelque chose qui, évidemment, fait réfléchir sur les différences majeures qui subsistent au sein même de la communauté LGBT+.

“Nick Samère” à Lyon, au Nid de Poule, mars 2019. © Victoria Coloma

En tant qu’artiste, elle essaye d’explorer de nombreux thèmes: la masculinité toxique, la sexualité, et plus récemment, lors des shows organisés à Lille 3, la pression du capitalisme sur les travailleurs. À chaque nouvelle performance, elle s’éloigne de la première ébauche
de son personnage. “Quand je l’ai créé, je l’ai appelé Nick Samère. Dans mon 1er numéro, j’incarne un gros relou bien dégueu qui mate des meufs à la plage (sur “J’aime regarder les filles” de Patrick Coutin)”.

Une artiste engagée

Ce persona, totalement à l’opposé d’elle, était un moyen de dénoncer ce genre de comportements, mais aussi de pouvoir se reposer sur quelque chose qui n’était pas elle. “Dans mes numéros j’essaie toujours de revendiquer mes valeurs ou de dénoncer les rouages du patriarcat. Incarner ce contre quoi je me bats au quotidien avait une fonction cathartique, mais quelque part c’était aussi plus facile à interpréter pour un premier numéro. J’ai dû créer un personnage de toute pièce, donc moins de pression sur scène. C’est pas complètement moi, donc si je flop, c’est moins grave!”

Malgré tout, Nixe souffre beaucoup du syndrome de l’imposteur. Elle a peur de tourner en rond, de ne pas être assez, de mal faire, de ne pas trouver sa place. Quelque chose qui, comme elle le dit, “’est plus de l’ordre de [ses] névroses personnelles que de l’attitude des gens en face.” Étant plutôt seul dans sa catégorie, il est plus difficile de prendre du recul.

La communauté drag lilloise

Heureusement, le milieu est rempli de personnes bienveillantes, compensant pour celles qui cherchent le “drama”. En un an, elle a pu rencontrer d’autres kings, au DragKingathon à Paris, et participer à plusieurs shows.
En parlant du drag lillois, elle nous confie: “Je pense que l’ensemble des personnes qui composent cette communauté, à Lille, ont conscience qu’on a plus d’intérêt à se serrer les coudes et se tirer vers le haut.”

Janvier 2020, à la “Queer on Strike”, à Lille 3. © Matteo Urru, collectif GERDA.

En tant que personne, le drag et le burlesque lui permettent de se réapproprier son corps, de ne plus avoir peur d’adopter des postures et caractéristiques stéréotypées masculines, de prendre confiance en elle, et de s’exprimer à 100%. “Me rendre compte, en tant que femme, que j’étais capable de faire ça sur scène, de m’imposer, de prendre de la place, de pas m’excuser d’être là, ça me fait beaucoup de bien.”

À travers le drag, n’importe qui peut transcender le genre, la binarité, les stéréotypes, dénoncer et en jouer, pour “faire un gros doigt d’honneur au système patriarcal !”.

Léa Dutertre

Suivez Nixe Amère sur Instagram: @nixeamere.

Envie d’une autre lecture ? Voici le dernier portrait de la série les femmes dans le drag : https://ellesontfemmes.wordpress.com/2020/03/02/serie-les-femmes-dans-le-drag-une-deconstruction-des-cliches-portrait-de-la-meandre/

Série. Les femmes dans le drag : une déconstruction des clichés Portrait de La Méandre (2/4)

La Méandre au grand Bal des Fiertés, juillet 2019. © Jean Ranobrac

Véritable poupée vivante, La Méandre a fait ses débuts à Paris avant de s’installer à Lille. Discrète et élégante, elle observe tout de ses grands yeux aux cils démesurés. Elle nous parle de ses expériences, de ses inspirations, et de l’impact du drag sur sa vie.

Aux origines de son compte Instagram, des dessins de queens, toutes issues des dernières saisons de RuPaul’s Drag Race. La Méandre a, comme beaucoup, découvert le drag à travers ce show télévisé. Un premier contact, certes. Mais elle admet: “si je ne m’étais contentée que de l’émission, JAMAIS je n’aurais fait de drag. J’étais persuadée que cet art était réservé aux hommes cisgenres (merci Mama Ru)”. En effet, l’émission est vivement critiquée pour son manque de représentation, notamment vis-à-vis des artistes femmes, non-binaires et transgenres (polémique qui a été ravivée par l’annonce de la Saison 12, NDLR).

Un nouveau monde

C’est en s’intéressant à la scène parisienne qu’elle découvre un tout nouveau monde, bien plus varié: “des drag kings, des drags queens poilues, barbues, etc.“.

“Si je ne m’étais contentée que de l’émission, JAMAIS je n’aurais fait de drag. J’étais persuadée que cet art était réservé aux hommes cisgenres ”

Plus tard, elle se penche sur Sasha Velour (gagnant.e de la 9ème saison de RPDR), artiste drag genderfluid*, ainsi que sur ses interviews et sa soirée Nightgowns – un évènement dédié aux drags, aux genres et ethnies différents. C’est cela qui l’a finalement décidée à franchir le pas, et à laisser s’exprimer une partie d’elle qui lui était difficile de montrer au quotidien.

À la Machine du Moulin Rouge, avril 2019. © @lxoniel (instagram)

La Méandre est enfin née. Inspirée par la période art déco, l’esthétique des années 30 à 50, les illustrations de George Barbier, d’Erté, ou encore du défilé Galliano automne 2009, son image est chic et distinguée. Elle décrit ce personnage comme “la petite poupée vintage que tu gardes précieusement; celle qui a une valeur sentimentale inestimable”. Une identité qu’elle assume fièrement, à coup de colliers de perles et vêtements de soie. Le vrai défi imposé reste la transformation.

La transformation

“Honnêtement c’est un challenge esthétique, surtout en ayant un personnage drag à l’apparence féminine”. Elle insiste : “Ce n’est pas juste « se féminiser », c’est retravailler entièrement son visage, son attitude, pour dissocier son Moi de son drag.”

Depuis 2018, La Méandre évolue, s’affirme, et expérimente. Le drag, pour elle, “c’est un moyen d’entrer en contact avec les gens, pouvoir leur transmettre mes émotions, autrement que par la parole”. Mais c’est aussi quelque chose qui l’aide au quotidien.

“C’est un moyen d’entrer en contact avec les gens, pouvoir leur transmettre mes émotions, autrement que par la parole”

Malgré tout, elle avoue s’être déjà sentie à part, surtout dans les soirées. Beaucoup adoptent une esthétique “plutôt trash, très sexualisée”; une vision qu’elle respecte, mais ne partage pas. “Ce n’est pas vraiment mon délire, mais ça reste un point de vue personnel. Le drag reste quand même un monde de la nuit, avec les consommations qu’il engendre.”

Des problèmes à soulever

Également, certains problèmes sont à soulever pendant ces soirées : les attouchements sont communs. “On m’a déjà touché la poitrine sans consentement (par une drag d’ailleurs…). C’est quelque chose qui arrive à beaucoup d’entre nous, qu’importe notre genre.”.

Diva pour la House of Moda, septembre 2019. © Sébastien Dolidon

Même s’il reste de nombreuses choses à changer – notamment les problèmes de visibilité que rencontrent les artistes sortant du ‘traditionnel’ -, il faut encourager ses artistes locaux, et rester ouverts à toutes les expressions. L’esprit du drag reste la chose la plus importante.

“C’est avant tout un art, esthétique et performatif, qui vise à déconstruire le genre, et jouer avec pour se le réapproprier. C’est une relation que l’on a avec soi, avec son corps, et qu’on autorise le monde à voir. Et, bien sûr, le drag est politique.”

Envie de plus ? Voici le portrait de la drag queen Carmen Von Sheitan ou bien un article d’introduction au monde du drag. Vous pouvez aussi retrouver La Méandre sur son Instagram : @la_meandre

* identité de genre qui sort des codes de la binarité (homme ou femme), qui fluctue entre les 2.

Léa Dutertre