Avec son look alien et son nom sans détours, Le Point G est une figure importante du drag lillois. Femme trans fortement engagée, elle a d’ailleurs créé sa propre soirée.
De son évolution à ses motivations, voici le dernier portrait de la série.
Sur son torse est écrit au marqueur “Fille Manquée”. Alors que la chanson se finit, elle raye d’un trait noir le dernier mot. Elle est femme, et elle en est fière. Cette performance, elle l’a faite au Before de la Zone Érogène, le 2 mars 2020 – sa soirée, qu’elle a créé avec une
autre artiste drag, Tabouret à 3 Pieds.
Mais Le Point G n’en est pas arrivée là aussi facilement.
À ses débuts, c’est un personnage très “grande dame” qui s’impose. “Je me suis lancée dans le drag pour l’aspect artistique. Quand j’étais petite, je faisais du théâtre, et j’ai toujours été attirée par les costumes, le maquillage comme extension du personnage”. Et, bien évidemment, l’essor de RuPaul’s Drag Race l’a inspirée, malgré le manque abyssal de
représentation.
Mais, tout le monde pensait qu’elle était un homme cisgenre, l’opinion générale associant systématiquement homme cis à drag queen. “J’ai eu du mal à faire comprendre que j’étais une femme trans, et ça a d’ailleurs posé problème là où je travaillais avant”.
Un personnage
Le Point G a énormément évolué. À présent, elle expérimente beaucoup avec son personnage: volontairement provocante, dégenrée, délibérément sexualisée… Elle joue avec les limites de genre et de son propre corps par la pratique du BDSM et autres kinks*.
Son objectif? Célébrer tous types de sexualité et d’identité à travers cet art politique.
“J’avais besoin de me réapproprier mon corps. Dans le milieu gay, il y a quand même cette masculinité toxique, et une “follophobie” ambiante. Pour plaire aux mecs, il faut être “viril”, pas trop efféminé. Beaucoup de mecs cisgenres et gays manquent d’éducation sur plein de sujets importants au sein de la communauté queer.” Ce besoin était accompagné du sentiment de ne pas être à sa place, de ne pas être légitime au sein de la communauté. Les remarques transphobes de ses anciennes collègues, ainsi que des employés du bar où elle
avait l’habitude de se produire, l’ont poussée à se réinventer, à assumer le politique de ses propos et performances, mais aussi à se remettre en question en tant que personne.
Le milieu du drag
D’un point de vue personnel, elle décrit le milieu du drag comme curateur: “Quand être moi devenait insupportable, surtout au niveau de mes études et de ma famille (où je ne suis pas out**), je pouvais me plonger à 100% dans le drag. Ça m’a permis de garder la tête hors de l’eau, de pouvoir créer dans une liberté folle, d’oser, d’avoir une voix en tant que personne marginalisée. Je pense que cell.eux qui n’ont jamais vécu de choses dures n’ont pas vraiment l’idée de se lancer”. Elle se réfère surtout à l’oppression, la censure, les
traumatismes subis par beaucoup de personnes. “Pour cell.eux qui ont eu ce privilège, le drag n’apparaît peut-être pas comme une nécessité – enfin, à mon sens”.
“S’il y a une chose que j’aimerais changer dans le drag, c’est la représentation qu’on en a, et la façon dont il est devenu mainstream »
Cet art, c’était un exutoire lorsqu’elle était en dépression, et l’a aidée à se former une carapace pour s’insérer, à se sentir en sécurité quelque part.
Et, étonnamment, cela lui a permis de faire le tri au niveau relationnel: désormais, elle n’accepte plus ce qu’elle tolérait par le passé. Le Point G a donc aussi changé sa vie sentimentale, car elle attire autant qu’elle peut repousser.
Un exutoire
Pour elle, le drag, c’est se créer un alter ego, de n’importe quel genre, avec des traits et caractéristiques amplifiés. C’est l’idée de se réapproprier son corps pour incarner un personnage, et d’endosser le rôle de porte-étendard pour la communauté. C’est un processus de déconstruction de tous les schémas toxiques qui nous ont été enseignés
depuis notre enfance, et c’est ce dont elle avait besoin.
Concernant les problèmes qu’il pourrait y avoir dans le milieu, elle évoque les “dramas” au sein de la communauté lilloise, qui ont pu diviser les artistes; également, l’invisibilisation des femmes et des personnes trans et intersexes. Elle souhaiterait “plus de bienveillance et
d’inclusivité (par exemple, permettre l’accès aux shows aux PMR***)”, car la scène lilloise est encore en construction – se soutenir, c’est pouvoir créer plus d’espaces “safe” et inclusifs.
“C’est un art politique, important, qui cherche à faire passer des messages forts »
“S’il y a une chose que j’aimerais changer dans le drag, c’est la représentation qu’on en a, et la façon dont il est devenu mainstream (coucou RuPaul). En vérité, il n’y a aucune règle à respecter, chacun.e a sa propre vision. Tout ce qu’il faut, c’est de la créativité, de la détermination et de la volonté – et, bien sûr, un minimum de conscience politique.”, dit-elle.
“Il faut le dissocier de la culture gay: ce n’est pas juste un art d’animation et de divertissement. C’est un art politique, important, qui cherche à faire passer des messages forts. Il ne faut pas se lancer pour les mauvaises raisons. Si au début vous vous lancerez pour votre accomplissement personnel, vous vous rendrez compte que vous le faites aussi pour votre communauté (du moins, je l’espère).”
Ainsi se conclut la série des Femmes dans le drag. À travers le portrait de ces 4 femmes, on remarque beaucoup de similitudes, mais aussi des expériences, des inspirations et des personnalités bien différentes.
Alors, supportez vos drags locales, allez aux shows, suivez-les sur les réseaux: encouragez la créativité!
Léa Dutertre
*kinks = fétiches et pratiques sexuel.les
** être “out” = ne pas cacher son orientation sexuelle ou son identité de genre auprès d’un
groupe de personnes (familles, amis, collègues,…)
*** PMR = Personnes à Mobilité Réduite
Informations pratiques :
Suivez-la sur Instagram : @le_p0int_g. Pour plus d’informations sur sa soirée, voici la page Facebook de l’évènement.