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Gingerella, une DJ qui dépoussière les sixties

Véritable accro de la musique, Gingerella enflamme le dancefloor derrière ses platines. Petit à petit, elle fait redécouvrir les classiques des années 60 et redynamise le milieu rétro.

Bottes en vinyle, jupe bien taillée, traits d’eyeliner sur les paupières et 45 tours à la main, Maureen aka Gingerella met le feu au Joe Tex Café. À la voir, on penserait qu’elle fait cela depuis des années – pourtant, son premier set n’était qu’à l’automne 2022. 

Maureen a 26 ans, et est originaire de Reims. Son enfance a été bercée par la musique et les concerts, passion qui lui a été transmise par son père. “J’ai toujours voulu être une artiste. J’ai même joué de la flûte à bec pendant 7 ans, et j’étais super forte! Mais ce n’était pas très rock n’ roll comme instrument.” Avec le temps, les sous-cultures, et surtout celles des années 60, font partie intégrante de ses centres d’intérêt.

Gingerella photographiée par Gérald Chabaud, juin 2023.

Naturellement, c’est vers la mode qu’elle se tourne pour faire carrière. “Je suis d’abord passé par un BTS design de mode, à Tours; puis, BTS modélisme à Tourcoing, pour enfin partir en formation professionnelle à Paris, dans le tailleur homme.” 

La crise sanitaire est vite arrivée pour tout bousculer. Maureen a décidé de changer de voie, et s’est lancée dans la maroquinerie:  “J’ai voulu revenir vers la matière, et m’éloigner de l’apparat.

Le COVID n’a hélas pas perturbé que sa vie professionnelle. Comme beaucoup d’autres, le confinement l’a faite “crouler mentalement”. Plus de sorties, plus de concerts, plus d’opportunités d’aller danser et s’amuser entre amis… Tout était suspendu, et la fin des confinements n’a pas marqué le renouveau de la scène locale. “J’avais besoin de danser. Alors, je me suis dit que si personne ne relançait la machine, j’allais le faire.

Maureen a donc commencé à contacter des bars, des groupes, afin d’organiser concerts et évènements musicaux à Lille. Quant à son activité de DJ, c’est un peu par hasard qu’elle s’est lancée.

Ça a commencé au Joe Tex Café, quand le patron me demandait de passer quelques disques le temps qu’il s’occupe de clients. Puis, j’ai commencé à acheter des 45 tours, sans même penser à faire du DJ. Au final, mon premier set était assez improvisé, mais ça a vraiment plu aux gens” se rappelle-t-elle en souriant. “J’ai eu beaucoup de compliments et d’encouragements, donc j’ai continué !

Ainsi est née Gingerella, son alter ego, son “médicament”: une version d’elle-même plus glam, plus affirmée, plus féminine aussi. Adopter cette identité de DJ signifie non seulement une opportunité de se redécouvrir en tant que femme, mais aussi de proposer au public “un vrai spectacle, à la fois visuel et sonore”. 

Comme pour tous ses projets, Maureen y met toute son énergie, même si tout cela est allé bien plus vite qu’elle ne l’espérait.

Elle a déjà mixé de nombreuses fois au Joe Tex Café (Lille), aux Vieux de la Vieille (Reims), et plus récemment à la Mécanique Ondulatoire à Paris. 

Gingerella en set au Joe Tex Café, 29/04/2023. © Matthieu Chatelet

D’ailleurs, pour préparer un seul DJ set, il lui faut au moins l’équivalent de 4 à 5 heures de musique, soit une petite centaine de disques dans sa valise. 

Cependant, les ambitions de Maureen sont assez simples: “Moi, je veux juste être cette DJ qui va te faire danser, où tu n’auras pas un moment pour poser ton cul ou t’ennuyer. Je veux voir les gens s’amuser et se rencontrer.” 

Elle évoque l’idée d’aller chercher un autre public, un peu partout en Europe, et même dans les EHPAD – projet qui lui tient à cœur.

Évidemment, la consécration serait Londres, berceau de nombreuses légendes du rock. 

J’ai envie de faire ce qui me plaît, quand ça me plaît, et enfin oser” conclut-elle avec fierté. “J’ai osé me présenter, aller voir les bars, demander si je pouvais venir mixer: et ça, je n’aurais jamais eu le culot de le faire il y a encore quelques temps.

– Lena Berquier

Quoi, tu veux ma photo ? – Au fil des bandes de l’exposition Hystérique

Les participant.e.s sont venus à la rencontre de Lilia Jarasi sur la base du volontariat et grâce au bouche à oreille. Romane Vandevelde, une des participantes a entendu parler du projet de Lilia par des ami.e.s.

Hystérique, et alors ? C’est ce que nous montre Lilia Jarasi à travers cette exposition féministe qui se tiendra du 8 au 21 mai de 15 heures à 19 heures au cinéma l’Univers, 16 rue Georges Danton à Lille. Une immersion dans la colère des femmes et des personnes en minorité de genre pour en briser le tabou.

Marre du sexisme

La colère des femmes est un tabou, encore plus lorsqu’elle est féministe : hystériques, c’est ce qui les caractérisent. Ce mal qui les incombe n’est pourtant que le reflet d’un sexisme plus profond. Ce terme apparu en France au XVIIIème siècle, signifie les entrailles, l’utérus, et est utilisé pour définir des névroses, des crises de nerfs qui seraient exclusives… aux femmes. Quelle chance de pouvoir enfin expliquer la parole des femmes ! Elles sont tout simplement malades !
Ce mot désuet c’est celui qu’a choisi Lilia Jarasi, afin de le réutiliser, de se le réapproprier : « Nous sommes hystériques et alors ? », ce ras-le-bol, cette rage, il est temps de l’exprimer.

L’exposition Hystérique est composé de 179 photographies argentiques. Des portraits des participant.e.s énervé.e.s, arrivé.e.s à bout du patriarcat, du sexisme, des violences sexistes et sexuelles et de cette société qui crée des agresseurs. Quand on entre dans la pièce c’est la première chose que l’on voit : des personnes qui en ont marre et « font la gueule » ou « crient » leur rage. C’est dans cette ambiance oppressante que la jeune photographe souhaite emmener les visiteurs : « je veux qu’on soit entouré de personnes qui te regardent mal ». Qui nous lancent un regard noir, mais pas seulement, qui s’expriment aussi. Tous ces portraits sont accompagnés de paroles, des témoignages anonymes, enregistrés lors des entretiens qu’a réalisé Lilia avant de leur tirer le portrait. Parmi ces entretiens des discussions sur la façon de s’habiller, de se comporter, des remarques, des agressions, … C’est à force d’écouter ces centaines de témoignages en boucle qu’elle conclue une chose : « ce qui en sort c’est que nous avons tout.e.s vécu la même chose : le même schéma est répété ».

Un projet de toute une vie

Lilia Jarasi fait de la photo depuis ses douze ans, elle a plusieurs comptes instagram, un dédié à la photo et un autre dédié à l’exposition Hystérique. C’est au labo photo de l’Univers qu’elle continue cette passion. Pourtant, ce n’est pas seulement cette passion qui la motive, c’est aussi une histoire de guérison.

« Ce projet il arrive au bon moment dans ma vie », c’est un projet qui non seulement permet d’exprimer sa colère contre la société, ce sentiment de domination masculine, mais aussi de se guérir des violences sexistes et sexuelles subies par le passé. Elle a vécu une vingtaine d’agressions par une vingtaine d’agresseurs différents. Des agressions récurrentes, des mutilations, qui finissent par devenir « la norme » : « Quand on grandit avec ça, on pense que les relations sexuelles c’est ça. On est considéré comme un objet sexuel et on le devient pour son agresseur ». Les personnes de son entourage au courant, ses ex-partenaires, ses amis, finissent par devenir eux-mêmes les agresseurs et quand ils ne font que la violer elle est surprise : « Ils ne me frappent pas ! ».
Cette page de sa vie ne sera jamais complètement tournée, mais elle l’accepte et n’oublie jamais qu’elle est une survivante, iel.le.s sont tout.e.s des survivant.e.s., « je n’ai aucune idée de comment j’ai survécu ». Aujourd’hui, elle fait un nouveau pas militant vers l’avenir en poussant un coup de gueule.

L’exposition est auto-financée, vous pouvez soutenir Lilia Jarasi sur sa cagnotte en ligne Lydia. L’entrée est au prix libre. Le 12 mai a lieu le vernissage à partir de 18h30, où l’exposition sera accessible, et plusieurs ateliers auront lieu avec le matériel à disposition. Il sera suivi d’une représentation de danse à 19h30.

Ysé Himy–Hoffschir

Elle nous montre sa culotte !

Géraldine Galvis, styliste et designer pleine d’énergie, saute de bar en bar pour nous montrer… sa culotte menstruelle ! Elle participe à un concours en ligne qui, si elle gagne, lui permettra de payer un an de traitement cardiaque à son père, vivant au Venezuela.

Les éclats de rire, le chant et la danse envahissent la pièce. Dans ce bar tout en longueur du Vieux-Lille, nous buvons un verre avec quelques amis. Lorsque la chanson s’arrête, quelqu’un prend la parole, Géraldine nous parle de son projet : gagner le concours Textile Addict afin de soutenir sa famille au Venezuela. C’est le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, que nous nous rencontrons pour cette interview. Journée idéale pour Géraldine qui, comme son modèle Diana Sierra, veut que les femmes soient fières de leurs règles et plus encore, qu’elles n’abandonnent jamais.

Arrivée en France en 2015, elle décide de se reconvertir après une période un peu difficile. Géraldine a toujours aimé la couture, le dessin, le domaine créatif. Pour elle, c’est le moment ! Au Venezuela, elle avait fait des études d’administration en entreprise, en France, deux choix s’offraient à elle : recommencer ses études de zéro car celles-ci n’étaient pas reconnues, ou se réorienter. « Si je dois passer deux ans ou trois ans à refaire ce que j’ai déjà fait, autant faire quelque chose que j’aime ». C’est décidé, elle fait donc ses études au SupdeMod de Lyon, où elle obtient en 2019, major de promo, son diplôme de styliste-modéliste. Ce travail, il lui tient beaucoup à cœur, et elle transmet cette passion dans les motifs qu’elle crée : « Je m’amuse beaucoup, parfois je cadre des choses de mon pays, je raconte des histoires ». Les motifs tropicaux restent ses préférés, après tout, ils lui rappellent son pays d’origine au climat chaud et humide, ses plages et ses forêts.

Ce concours, il est fait pour elle. La plateforme Textile Addict organise chaque année un concours* et cette année, c’est en partenariat avec la marque de culotte menstruelle Chérie Louve qu’il est organisé. Le but ? Créer un motif pour une culotte menstruelle avec le thème « j’aime et j’assume mes règles ». Ni une ni deux, Géraldine saute sur l’occasion, elle est dans son élément. Sur sa culotte, on observe différents motifs : des références à Diana Sierra, l’inventrice de la première culotte menstruelle, des portraits de femmes ougandaises, le pays qui a donné à Diana Sierra l’idée d’une protection hygiénique, des fleurs ougandaises qui récupèrent l’eau de pluie à la manière d’une cup qui récupère le sang. Tous ces motifs sont présents sur la culotte de Géraldine qu’elle nomme « Inspiré », tout autant qu’elle. Inspirée, et motivée, car si elle remporte l’un des prix, dont la somme s’élève de 500 à 1 000 euros, elle sera en mesure de payer environ un an de traitement cardiaque à son père. « Au Venezuela, un salaire minimum, c’est environ 25 dollars par mois, ma famille attend que ce soit moi qui les aide, leur situation là-bas est très compliquée ». Ce n’est pas seulement la situation actuelle au Venezuela ou sa dévotion pour sa famille qui la pousse à se présenter à ce concours, mais aussi un parcours beaucoup plus dramatique.

« En fait, je n’ai pas vécu avec mon père »

Ses parents partent pour la capitale afin de trouver du travail. Géraldine naît là-bas, ils habitent dans les favelas et vivent du peu qu’ils ont. En 1989, c’est l’explosion sociale, le Caracazo. Les habitants s’arment, il y a des émeutes, l’armée répond de plus belle, on estime le nombre de morts à environ 3 000. Lorsque les émeutes prennent trop d’ampleur, sa mère prend une décision.

« Ma mère a dû fuir avec nous, mes sœurs et moi. Mon père avait un taxi et travaillait à ce moment-là, à l’époque il n’y avait pas de portables, donc aucun moyen de le contacter. Nous avons fui avec un oncle à la frontière de la Colombie, ma mère a perdu le contact avec mon père. Quelques années plus tard, ma mère l’a retrouvé, mais il avait fondé une autre famille. Elle est tombée dans une situation de précarité bien pire qu’avant et a perdu le droit de nous élever. Alors c’est ma grand-mère paternelle qui nous a récupérées et nous a emmenées dans son petit village pour y vivre. En fait, je n’ai pas vécu avec mon père, car nous ne vivions pas au même endroit et il avait aussi son autre famille. Depuis ce temps-là je me suis promis qu’il fallait aider mes parents, si je ne vivais pas avec eux à cause de la pauvreté, je devais faire des études pour que ce soit possible. »

Géraldine fait donc des études, elle travaille, puis en venant en vacances en France, elle rencontre son ex-mari. Elle l’épouse peu de temps après, mais au bout de quelques mois, ils divorcent, « à un moment donné, je me suis retrouvée sans papiers, j’ai eu le temps de réfléchir à ce que j’allais faire », la famille de son ex-mari avec qui ils restent en très bons termes l’héberge et l’aide du mieux qu’ils peuvent. « Toute cette douleur dans le divorce, je l’ai convertie », c’est là qu’elle se reconvertit et se tourne vers l’une de ses passions : l’art.

Aujourd’hui, Géraldine est donc styliste à Lille, vit de sa passion, et va de bars en bars pour engager les gens à voter pour sa culotte menstruelle ! Les résultats arrivent le 21 mars. En attendant, elle affiche un grand sourire « au Venezuela, même quand c’est difficile, on a beaucoup d’humour, on rigole ! »

*Le concours se déroulait du 13 février au 10 mars, les résultats sont disponibles depuis le 21 mars sur la page du site dédié.

Ysé Himy–Hoffschir

Une conférence pour parler des violences sexistes et sexuelles

Crédits photo : Loïs Hamard et Valentine Mallet

Mardi 25 janvier, le grand amphithéâtre de l’ESJ s’est rempli : ce soir c’est conférence ! Animée par Clara Lainé & Tom Soriano, cette assemblée est le fruit d’un long travail en partenariat avec l’ESJ. Pas moins de quatre intervenants ont été réunis : Déborah Diallo (avocate), Frédérique Warembourg (psychiatre), Guillemette Stevens (sexologue) et Nicolas Gaud (pédopsychiatre). Au programme de cette présentation, les intervenants ont tracé les contours d’un problème de taille : les violences sexistes et sexuelles (VSS) et leurs impacts psychologiques.

Cette conférence a mis plus d’un an à voir le jour. Avec Tova Bach, présidente d’Oser Dire Non (ODN), en tête de projet. ODN est une association de prévention et d’information contre les violences sexuelles, psychiques et physiques. Elle a été créée en février 2020, par Tova Bach et Marthe Dolphin, étudiantes de l’Académie ESJ. Étant également un espace d’accueil et d’échange, la conférence est dans la droite ligne de l’association.

La banalisation des VSS

Un constat ouvre la discussion : le terme de VSS est de plus en plus utilisé dans les médias et par le grand public. Les VSS (harcèlements, agressions, viol…) sont des actes (comportement ou langage) imposés par une personne sur une autre en raison de son sexe, de sa condition. Ces violences sont un ensemble de ce que l’on subit au quotidien, tout le temps, partout et qui ramène une personne à son genre et à son corps. Devenues banales, les VSS ont été intégrées comme un passage obligé dans la vie. Les femmes et les membres de la communauté LBGTQIA+ sont statistiquement plus touchés. “Il faut retrouver un dialogue entre les sexes”, assure Guillemette Stevens.

Frédérique Warembourg, psychiatre au CHU de Lille, explique l’impact psychologique des VSS, le syndrome post-traumatique : “C’est un événement brutal et inattendu, une sensation de mort imminente mélangé à l’incapacité de discernement, la victime est sidérée”. Une victime de VSS va entrer malgré elle dans une temporalité particulière, provoquant deux sortes de stress : le stress adapté, lié à l’instinct de survie et le stress dépassé qui, lui, va mener à une perte de discernement, une incapacité à raisonner et à agir. “C’est une sorte d’anesthésie émotionnelle où la victime va perdre le fil de sa vie”, décrit Frédérique Warembourg. Le syndrome post-traumatique reste tabou ou méconnu, et c’est en grande partie dû à la banalisation commune, faisant régner la culture du viol dans la société.

Les clichés et la vision des autres vont peser sur les épaules de la victime, jusqu’à s’imprimer dans sa tête, créant une honte sociale. L’absence ou un entourage négatif est un « gros facteur de risque », selon Guillemette Stevens. La victime est alors fragilisée par cet événement hors du temps, hors de sa vie.

Les VSS au sein des couples

La question des VSS chez les couples et notamment les couples de mineurs est délicate. Ces violences sont rarement évoquées puisqu’il est communément accepté que les enfants oublient et que les couples s’aiment. Pourtant « ces VSS ont un gros impact, car plus un être est jeune, plus il est à risque de développer des conséquences psycho-traumatiques », souligne Nicolas Gaud, pédopsychiatre.

Le partenaire d’une personne qui a été victime de VSS est souvent dépeint comme un héros. Celui ou celle qui va être à l’écoute, patient et ouvert à la communication est vu comme quelqu’un d’idéal, d’hors du commun, « alors que la patience et l’écoute sont la base d’un couple », rappelle Guillemette Stevens. Il arrive de jouir pendant un viol, ce qui va imprimer l’idée d’un plaisir négatif chez la victime.

Crédit : Oser Dire Non

La majorité des VSS chez les enfants sont perpétuées par l’entourage proche. Le caractère incontrôlable des VSS entraîne une peur permanente et une perte de confiance chez l’enfant.

Pour ce qui est de l’adolescent, plus à même de dissocier, cela entraîne des conséquences sur le comportement et la santé, comme le développement de conduites à risque. D’autant plus que les VSS étant banalisées, les victimes mettent du temps à prendre conscience de leur situation.

Faille de la justice ?

La représentation des VSS reste très genrée. Les rôles familiaux sont encore assez rigides, avec la constitution d’un « clivage entre les forts et les faibles, les enfants et les parents, les femmes et les hommes ». Même si ces représentations tendent à évoluer, elles illustrent le joug de la culture du viol et sont le berceau de potentiels VSS. Il y a une nécessité d’éduquer et de communiquer autour de ce sujet encore tabou et méconnu. La sexualité humaine n’est qu’un conditionnement, un apprentissage. Il y a une différence entre le désir, l’envie et le consentement. Les mots et la communication sont essentiels.

Dans le code pénal, le viol est défini comme : “Tout acte de pénétration sexuelle ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle, cela constitue donc un crime, l’une des infractions les plus graves. L’agression sexuelle est qualifiée de la même façon, sans acte de pénétration. Une nouvelle loi est apparue courant 2021 : la présomption de non-consentement.

« Un procès pour un viol coûte cher et dure plusieurs années », explique Déborah Diallo. Surtout que le système judiciaire souffre d’un manque de moyen depuis plusieurs années : de la formation des policiers à celle des magistrats, en passant par l’accompagnement des victimes, le système fait face à de nombreuses failles qui jouent en défaveur des victimes.

Des associations à connaître : 

Comment porter plainte lorsqu’on est victime ?
Déborah Diallo recommande de passer par un avocat, même si ce n’est pas obligatoire. Cela permet de se constituer partie civile (certificats médicaux, psychologiques, suivi plus personnalisé) . Il est possible d’aller directement au commissariat. L’important est de s’entourer et de faire un examen médical au plus vite afin d’attester l’agression.
Si l’agression a eu lieu à l’étranger, il est dans l’intérêt de la victime de porter plainte également en France. Un système d’entraide et de coopération existe entre parquetiers de différents pays.

Tatiana Stringat et Angèle Truchot

Série.Les femmes dans le drag: une déconstruction des clichés Portrait: Le Point G (4/4)

Avec son look alien et son nom sans détours, Le Point G est une figure importante du drag lillois. Femme trans fortement engagée, elle a d’ailleurs créé sa propre soirée.
De son évolution à ses motivations, voici le dernier portrait de la série.

Look de novembre 2019. © Instagram: @le_point_g

Sur son torse est écrit au marqueur “Fille Manquée”. Alors que la chanson se finit, elle raye d’un trait noir le dernier mot. Elle est femme, et elle en est fière. Cette performance, elle l’a faite au Before de la Zone Érogène, le 2 mars 2020 – sa soirée, qu’elle a créé avec une
autre artiste drag, Tabouret à 3 Pieds.

Mais Le Point G n’en est pas arrivée là aussi facilement.
À ses débuts, c’est un personnage très “grande dame” qui s’impose. “Je me suis lancée dans le drag pour l’aspect artistique. Quand j’étais petite, je faisais du théâtre, et j’ai toujours été attirée par les costumes, le maquillage comme extension du personnage”. Et, bien évidemment, l’essor de RuPaul’s Drag Race l’a inspirée, malgré le manque abyssal de
représentation.
Mais, tout le monde pensait qu’elle était un homme cisgenre, l’opinion générale associant systématiquement homme cis à drag queen. “J’ai eu du mal à faire comprendre que j’étais une femme trans, et ça a d’ailleurs posé problème là où je travaillais avant”.

Un personnage

Le Point G a énormément évolué. À présent, elle expérimente beaucoup avec son personnage: volontairement provocante, dégenrée, délibérément sexualisée… Elle joue avec les limites de genre et de son propre corps par la pratique du BDSM et autres kinks*.
Son objectif? Célébrer tous types de sexualité et d’identité à travers cet art politique.

Au Before de la Zone Érogène, 2 mars 2020. © Joseph “Le Temps est Bon”

“J’avais besoin de me réapproprier mon corps. Dans le milieu gay, il y a quand même cette masculinité toxique, et une “follophobie” ambiante. Pour plaire aux mecs, il faut être “viril”, pas trop efféminé. Beaucoup de mecs cisgenres et gays manquent d’éducation sur plein de sujets importants au sein de la communauté queer.” Ce besoin était accompagné du sentiment de ne pas être à sa place, de ne pas être légitime au sein de la communauté. Les remarques transphobes de ses anciennes collègues, ainsi que des employés du bar où elle
avait l’habitude de se produire, l’ont poussée à se réinventer, à assumer le politique de ses propos et performances, mais aussi à se remettre en question en tant que personne.

Le milieu du drag

D’un point de vue personnel, elle décrit le milieu du drag comme curateur: “Quand être moi devenait insupportable, surtout au niveau de mes études et de ma famille (où je ne suis pas out**), je pouvais me plonger à 100% dans le drag. Ça m’a permis de garder la tête hors de l’eau, de pouvoir créer dans une liberté folle, d’oser, d’avoir une voix en tant que personne marginalisée. Je pense que cell.eux qui n’ont jamais vécu de choses dures n’ont pas vraiment l’idée de se lancer”. Elle se réfère surtout à l’oppression, la censure, les
traumatismes subis par beaucoup de personnes. “Pour cell.eux qui ont eu ce privilège, le drag n’apparaît peut-être pas comme une nécessité – enfin, à mon sens”.

“S’il y a une chose que j’aimerais changer dans le drag, c’est la représentation qu’on en a, et la façon dont il est devenu mainstream »

Cet art, c’était un exutoire lorsqu’elle était en dépression, et l’a aidée à se former une carapace pour s’insérer, à se sentir en sécurité quelque part.
Et, étonnamment, cela lui a permis de faire le tri au niveau relationnel: désormais, elle n’accepte plus ce qu’elle tolérait par le passé. Le Point G a donc aussi changé sa vie sentimentale, car elle attire autant qu’elle peut repousser.

Un exutoire

Pour elle, le drag, c’est se créer un alter ego, de n’importe quel genre, avec des traits et caractéristiques amplifiés. C’est l’idée de se réapproprier son corps pour incarner un personnage, et d’endosser le rôle de porte-étendard pour la communauté. C’est un processus de déconstruction de tous les schémas toxiques qui nous ont été enseignés
depuis notre enfance, et c’est ce dont elle avait besoin.

Au Sidragction de Lille, novembre 2019. © Morgan Prot, Collectif GERDA.

Concernant les problèmes qu’il pourrait y avoir dans le milieu, elle évoque les “dramas” au sein de la communauté lilloise, qui ont pu diviser les artistes; également, l’invisibilisation des femmes et des personnes trans et intersexes. Elle souhaiterait “plus de bienveillance et
d’inclusivité (par exemple, permettre l’accès aux shows aux PMR***)”, car la scène lilloise est encore en construction – se soutenir, c’est pouvoir créer plus d’espaces “safe” et inclusifs.

“C’est un art politique, important, qui cherche à faire passer des messages forts »

“S’il y a une chose que j’aimerais changer dans le drag, c’est la représentation qu’on en a, et la façon dont il est devenu mainstream (coucou RuPaul). En vérité, il n’y a aucune règle à respecter, chacun.e a sa propre vision. Tout ce qu’il faut, c’est de la créativité, de la détermination et de la volonté – et, bien sûr, un minimum de conscience politique.”, dit-elle.

“Il faut le dissocier de la culture gay: ce n’est pas juste un art d’animation et de divertissement. C’est un art politique, important, qui cherche à faire passer des messages forts. Il ne faut pas se lancer pour les mauvaises raisons. Si au début vous vous lancerez pour votre accomplissement personnel, vous vous rendrez compte que vous le faites aussi pour votre communauté (du moins, je l’espère).”

Ainsi se conclut la série des Femmes dans le drag. À travers le portrait de ces 4 femmes, on remarque beaucoup de similitudes, mais aussi des expériences, des inspirations et des personnalités bien différentes.
Alors, supportez vos drags locales, allez aux shows, suivez-les sur les réseaux: encouragez la créativité!

Léa Dutertre

*kinks = fétiches et pratiques sexuel.les
** être “out” = ne pas cacher son orientation sexuelle ou son identité de genre auprès d’un
groupe de personnes (familles, amis, collègues,…)
*** PMR = Personnes à Mobilité Réduite

Informations pratiques :

Suivez-la sur Instagram : @le_p0int_g. Pour plus d’informations sur sa soirée, voici la page Facebook de l’évènement.

Série.Les femmes dans le drag: une déconstruction des clichés Portrait de Nixe Amère (3/4)

Drag king et artiste burlesque, Nixe Amère joue avec les stéréotypes de genre et les codes de la société. Elle est engagée et n’hésite pas à donner de sa personne pour se faire entendre. Entre personnage et vie personnelle, elle nous livre sa vision de l’art drag.

En backstage du DragKingathon, à Paris, octobre 2019. © Julia Benarrous

Sur scène, des messages forts et des performances décomplexées. Nixe Amère – à l’origine Nick Samère – est un des tout premiers drag king lillois, offrant à chaque nouvelle sortie un visage différent. Tantôt beauf moustachu, tantôt barbu pailleté en costume, son personnage
jongle entre les différentes représentations de la masculinité.

Premier Drag King lillois

D’ailleurs, c’est en assistant à un show burlesque qu’elle a eu l’idée de se lancer: “Un jour j’ai vu Louis(e) de Ville (artiste américaine basée à Paris, NDLR) sur scène, par hasard à St So. Surprise et émotion quand je me rends compte qu’il y a Lolla Wesh (artiste “drag queer”, NDLR) et Louise de Ville sur scène !”, elle raconte. “En fin de soirée, Louis de Ville est apparu pour un numéro drag king. Quand j’ai compris que Louise et Louis n’étaient qu’une seule et même personne, j’ai vraiment eu une révélation. Genre « MAIS OUI ! Évidemment que les drag king existent. Pourquoi j’ai pas réalisé ça plus tôt ?! JE VEUX FAIRE CA ! »… Et hop, quelques mois après je présentais mon premier numéro drag king selfmade.”

“Dans mes numéros j’essaie toujours de revendiquer mes valeurs ou de dénoncer les rouages du patriarcat »

Pourtant, être drag king, ce n’est pas si simple – surtout car il s’agit d’une forme de drag peu connue du grand public, la pop culture s’articulant surtout autour des queens. “Comme beaucoup de gens, j’ai suivi toutes les saisons de RuPaul’s Drag Race. Je n’avais jamais réfléchi plus loin en terme de ce que peut être le drag… Comme beaucoup de gens à qui je
dis que je suis drag king.”
En effet, l’émission est un peu la plateforme rêvée pour toute queen, mais qui ne valorise qu’un seul aspect du drag.

Une méconnaissance du Drag King

Alors, Nixe doit expliquer son personnage: “Les gens ne savent pas ce que c’est, ils ne font pas l’association d’esprit drag queen/drag king. Je dois toujours m’y référer pour qu’ils comprennent. La suite de la conversation tourne souvent comme ça: « Tu vois ce que c’est une drag queen ? / – Oui. / – Bah, c’est pareil, mais l’inverse ! ». On s’arrête au champ des possibles donné par les représentations établies”. Quelque chose qui, évidemment, fait réfléchir sur les différences majeures qui subsistent au sein même de la communauté LGBT+.

“Nick Samère” à Lyon, au Nid de Poule, mars 2019. © Victoria Coloma

En tant qu’artiste, elle essaye d’explorer de nombreux thèmes: la masculinité toxique, la sexualité, et plus récemment, lors des shows organisés à Lille 3, la pression du capitalisme sur les travailleurs. À chaque nouvelle performance, elle s’éloigne de la première ébauche
de son personnage. “Quand je l’ai créé, je l’ai appelé Nick Samère. Dans mon 1er numéro, j’incarne un gros relou bien dégueu qui mate des meufs à la plage (sur “J’aime regarder les filles” de Patrick Coutin)”.

Une artiste engagée

Ce persona, totalement à l’opposé d’elle, était un moyen de dénoncer ce genre de comportements, mais aussi de pouvoir se reposer sur quelque chose qui n’était pas elle. “Dans mes numéros j’essaie toujours de revendiquer mes valeurs ou de dénoncer les rouages du patriarcat. Incarner ce contre quoi je me bats au quotidien avait une fonction cathartique, mais quelque part c’était aussi plus facile à interpréter pour un premier numéro. J’ai dû créer un personnage de toute pièce, donc moins de pression sur scène. C’est pas complètement moi, donc si je flop, c’est moins grave!”

Malgré tout, Nixe souffre beaucoup du syndrome de l’imposteur. Elle a peur de tourner en rond, de ne pas être assez, de mal faire, de ne pas trouver sa place. Quelque chose qui, comme elle le dit, “’est plus de l’ordre de [ses] névroses personnelles que de l’attitude des gens en face.” Étant plutôt seul dans sa catégorie, il est plus difficile de prendre du recul.

La communauté drag lilloise

Heureusement, le milieu est rempli de personnes bienveillantes, compensant pour celles qui cherchent le “drama”. En un an, elle a pu rencontrer d’autres kings, au DragKingathon à Paris, et participer à plusieurs shows.
En parlant du drag lillois, elle nous confie: “Je pense que l’ensemble des personnes qui composent cette communauté, à Lille, ont conscience qu’on a plus d’intérêt à se serrer les coudes et se tirer vers le haut.”

Janvier 2020, à la “Queer on Strike”, à Lille 3. © Matteo Urru, collectif GERDA.

En tant que personne, le drag et le burlesque lui permettent de se réapproprier son corps, de ne plus avoir peur d’adopter des postures et caractéristiques stéréotypées masculines, de prendre confiance en elle, et de s’exprimer à 100%. “Me rendre compte, en tant que femme, que j’étais capable de faire ça sur scène, de m’imposer, de prendre de la place, de pas m’excuser d’être là, ça me fait beaucoup de bien.”

À travers le drag, n’importe qui peut transcender le genre, la binarité, les stéréotypes, dénoncer et en jouer, pour “faire un gros doigt d’honneur au système patriarcal !”.

Léa Dutertre

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Envie d’une autre lecture ? Voici le dernier portrait de la série les femmes dans le drag : https://ellesontfemmes.wordpress.com/2020/03/02/serie-les-femmes-dans-le-drag-une-deconstruction-des-cliches-portrait-de-la-meandre/

« On lutte contre le système patriarcal mais on a l’impression qu’on en verra jamais le bout » : Entretien avec Anne Mikolajczak, Maire adjointe à Lille (2/2)

Anne Mikolajczak, maire adjointe à la mairie de Lille en fin de mandat (crédit photo : Léa Bouquet)

C’est à la fin de son mandat d’adjointe à la Maire de Lille, chargée de la délégation à l’égalité entre les hommes et les femmes et aux politiques vélo, que nous avons rencontré Anne Mikolajczak. Du plan d’égalité femmes-hommes aux aménagements cyclables, cette élue Europe Ecologie Les Verts (EELV) sait faire entendre sa voix et ne manque pas de détermination. Elle revient pour nous sur son parcours, ses actions menées pour les femmes au sein de la ville de Lille et sur des questions bien plus profondes comme le masculinisme.

Née en 1964 en Allemagne, Anne Mikolajczak revient à Lille après le bac, la carrière militaire de son papa obligeant. Elle s’inscrit en faculté de mathématiques et de psychologie. Titulaire de deux licences, cette acharnée du travail devient professeur de mathématiques remplaçante, puis rapidement conseillère d’orientation psychologue. Elle travaille actuellement au Centre d’Information et d’orientation (CIO) de Lille.

« Je ne lâche rien ou peu de choses »

L’engagement politique d’Anne Mikolajczak ne date pas d’hier : du scoutisme à l’adolescence, aux mouvements étudiants et au syndicalisme jusqu’à son entrée au parti Europe Ecologie Les Verts (EELV) et à la mairie de Lille. Car oui, selon elle, « le monde associatif est éminemment politique ». Mère de jumeaux, son premier combat s’impose dès la maternelle lorsqu’elle intègre la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (FCPE). « C’était contre une suppression de poste si je me souviens bien », précise-t-elle. D’échelon en échelon, elle se fait sa place dans de grandes structures. Elle préside actuellement la FCPE Nord qui comprend plus de 20 000 adhérents et dirige une équipe de rugby féminin, avec la conviction particulière de « réunir le sport et les femmes ».

Lorsqu’on lui demande pourquoi s’être engagée particulièrement dans l’égalité Femmes-Hommes cette dernière nous répond que cette question l’a toujours interpellée et que c’est en étant militant que l’on peut porter des causes. « Et je ne lâche rien ou peu de choses », ajoute-t-elle.  

Ses actions pour les femmes… mais pas seulement

Anne Mikolajczak est l’artisan principal de la réécriture du plan d’égalité Femmes-Hommes de Lille, crée en 2010 et repensé en 2017. « Avant, ce n’était que des fiches d’actions, des indications. J’ai voulu lui donner de l’efficacité et de l’application réelle », nous explique-t-elle. Ce plan a été totalement co-construit avec des associations, des professionnels de la santé pour aboutir à des mesures concrètes et applicables sur le long terme. Comme mesures, on peut citer le Guide Violences, le Répertoire Droits des femmes, des stages de self-défense et d’autodéfense verbale, une journée « matrimoine » … mais la plus grande implication de l’Adjointe au Maire a été la création à Lille des marches exploratoires.

Quèsaco ? Ce sont des marches composées uniquement de femmes et dont le but est de marcher dans des quartiers dits « sensibles » ou du moins évités par les femmes afin de redéfinir l’espace public. « On dirait que la ville est faite pour les hommes ! Je la vis beaucoup à vélo ou à pied, et dans certains quartiers, dehors, on ne voit que des hommes, sur les places, dans les parcs, aux bouches de métro… Les femmes, elles, sont en mouvement. Comment construire une ville qui laisse une place aux femmes, une ville où elles se sentent libres de se poser, en sécurité ? La cité est pour tout le monde, on est des êtres sociaux », insiste-t-elle.

« C’est un travail de grande haleine sur l’éducation générale qu’il faut refaire, il faut que les hommes acceptent à un moment qu’ils n’ont pas le monopole du pouvoir »

C’est ainsi qu’est venue l’idée à Anne Mikolajczak de donner la parole à ces femmes et uniquement des femmes. Puisque la parole de ces dernières n’est en effet pas la même lorsqu’elles sont qu’entre femmes et lorsqu’il y a des hommes, ajoute l’Adjointe. Grâce à ces marches, des bancs et des éclairages publics ont été ajoutés à certains quartiers redonnant de la confiance aux femmes.

Anne Mikolajczak a également fait tout un travail en interne au sein de la mairie ; comme par exemple une campagne d’affichage contre le sexisme au travail ou encore la mise en place d’une cellule d’écoute. Malgré son investissement à 100% dans sa délégation à l’égalité Femmes-Hommes, cette bosseuse ne délaisse pas sa délégation aux politiques vélo et pédale à grande vitesse pour une « Lille Verte ». Elle multiplie notamment les arceaux à vélo, « véritable outil d’émancipation pour les femmes pour éviter de se faire embêter », rit-elle. Elle augmente également les aménagements cyclables et met en place des bornes de réparateur de vélos. What else ? Pourrait se demander à juste titre George Clooney.

La question du « masculinisme »

A la fin de notre rencontre, Anne Mikolajczak aborde un sujet sur lequel il faudrait s’attarder selon elle : le masculinisme. « On lutte contre le système patriarcal mais on a l’impression qu’on en verra jamais le bout, déplore-t-elle. C’est un travail énorme ». Selon elle, il ne suffirait plus seulement d’accompagner les petites filles mais également de faire un véritable travail avec les petits garçons et les encourager à aller vers des métiers éducatifs. Aujourd’hui, il est plus difficile pour un homme de devenir puéricultrice ou assistance maternelle qu’une femme de devenir ingénieure. « C’est un travail de grande haleine sur l’éducation générale qu’il faut refaire, il faut que les hommes acceptent à un moment qu’ils n’ont pas le monopole du pouvoir ».

Léa Bouquet

Série. Les femmes dans le drag : une déconstruction des clichés Portrait de La Méandre (2/4)

La Méandre au grand Bal des Fiertés, juillet 2019. © Jean Ranobrac

Véritable poupée vivante, La Méandre a fait ses débuts à Paris avant de s’installer à Lille. Discrète et élégante, elle observe tout de ses grands yeux aux cils démesurés. Elle nous parle de ses expériences, de ses inspirations, et de l’impact du drag sur sa vie.

Aux origines de son compte Instagram, des dessins de queens, toutes issues des dernières saisons de RuPaul’s Drag Race. La Méandre a, comme beaucoup, découvert le drag à travers ce show télévisé. Un premier contact, certes. Mais elle admet: “si je ne m’étais contentée que de l’émission, JAMAIS je n’aurais fait de drag. J’étais persuadée que cet art était réservé aux hommes cisgenres (merci Mama Ru)”. En effet, l’émission est vivement critiquée pour son manque de représentation, notamment vis-à-vis des artistes femmes, non-binaires et transgenres (polémique qui a été ravivée par l’annonce de la Saison 12, NDLR).

Un nouveau monde

C’est en s’intéressant à la scène parisienne qu’elle découvre un tout nouveau monde, bien plus varié: “des drag kings, des drags queens poilues, barbues, etc.“.

“Si je ne m’étais contentée que de l’émission, JAMAIS je n’aurais fait de drag. J’étais persuadée que cet art était réservé aux hommes cisgenres ”

Plus tard, elle se penche sur Sasha Velour (gagnant.e de la 9ème saison de RPDR), artiste drag genderfluid*, ainsi que sur ses interviews et sa soirée Nightgowns – un évènement dédié aux drags, aux genres et ethnies différents. C’est cela qui l’a finalement décidée à franchir le pas, et à laisser s’exprimer une partie d’elle qui lui était difficile de montrer au quotidien.

À la Machine du Moulin Rouge, avril 2019. © @lxoniel (instagram)

La Méandre est enfin née. Inspirée par la période art déco, l’esthétique des années 30 à 50, les illustrations de George Barbier, d’Erté, ou encore du défilé Galliano automne 2009, son image est chic et distinguée. Elle décrit ce personnage comme “la petite poupée vintage que tu gardes précieusement; celle qui a une valeur sentimentale inestimable”. Une identité qu’elle assume fièrement, à coup de colliers de perles et vêtements de soie. Le vrai défi imposé reste la transformation.

La transformation

“Honnêtement c’est un challenge esthétique, surtout en ayant un personnage drag à l’apparence féminine”. Elle insiste : “Ce n’est pas juste « se féminiser », c’est retravailler entièrement son visage, son attitude, pour dissocier son Moi de son drag.”

Depuis 2018, La Méandre évolue, s’affirme, et expérimente. Le drag, pour elle, “c’est un moyen d’entrer en contact avec les gens, pouvoir leur transmettre mes émotions, autrement que par la parole”. Mais c’est aussi quelque chose qui l’aide au quotidien.

“C’est un moyen d’entrer en contact avec les gens, pouvoir leur transmettre mes émotions, autrement que par la parole”

Malgré tout, elle avoue s’être déjà sentie à part, surtout dans les soirées. Beaucoup adoptent une esthétique “plutôt trash, très sexualisée”; une vision qu’elle respecte, mais ne partage pas. “Ce n’est pas vraiment mon délire, mais ça reste un point de vue personnel. Le drag reste quand même un monde de la nuit, avec les consommations qu’il engendre.”

Des problèmes à soulever

Également, certains problèmes sont à soulever pendant ces soirées : les attouchements sont communs. “On m’a déjà touché la poitrine sans consentement (par une drag d’ailleurs…). C’est quelque chose qui arrive à beaucoup d’entre nous, qu’importe notre genre.”.

Diva pour la House of Moda, septembre 2019. © Sébastien Dolidon

Même s’il reste de nombreuses choses à changer – notamment les problèmes de visibilité que rencontrent les artistes sortant du ‘traditionnel’ -, il faut encourager ses artistes locaux, et rester ouverts à toutes les expressions. L’esprit du drag reste la chose la plus importante.

“C’est avant tout un art, esthétique et performatif, qui vise à déconstruire le genre, et jouer avec pour se le réapproprier. C’est une relation que l’on a avec soi, avec son corps, et qu’on autorise le monde à voir. Et, bien sûr, le drag est politique.”

Envie de plus ? Voici le portrait de la drag queen Carmen Von Sheitan ou bien un article d’introduction au monde du drag. Vous pouvez aussi retrouver La Méandre sur son Instagram : @la_meandre

* identité de genre qui sort des codes de la binarité (homme ou femme), qui fluctue entre les 2.

Léa Dutertre